Besançon, à la sortie de la guerre, observée par un suisse

Besançon, à la sortie de la guerre, observée par un suisse


A quoi ressemblaient les Chaprais en 1948 ? Vision d’un journaliste suisse.

Nous sommes en 1948, Besançon se remet des séquelles du dernier conflit qui a l’a vu vivre pendant près de quatre ans sous le joug nazi. De l’autre côté de la frontière, la Suisse se remet également des dégâts provoqués par la guerre. Le pays ayant été plusieurs fois bombardées par erreur par les différents protagonistes du conflit.

Schaffhouse bombardée en 44

Le bombardement de Schaffhouse (près de la frontière allemande) par exemple fit 40 morts parmi les civils suisses le 1° avril 1944. (Crédit photo : Keystone)

La paix revenue, les échanges entre le Doubs et la Suisse ont repris, la circulation ferroviaire également. Jean Cuynet dans Histoire du Rail en Franche-Comté rappelle ainsi que des locomotives françaises ont été remis en état grâce à l’intervention de nos voisins helvètes dès la Libération, par exemple dans les ateliers CFF d’Yverdon.

La Suisse libérale

La reprise des échanges s’accompagnent également de la circulation des personnes. Parmi lesquelles un journaliste de la Suisse Libérale, de Neuchâtel, Pierre-J. Frendzel qui en 1948 décide d’organiser une escapade « bizontine » qui l’emmènera notamment dans le quartier des Chaprais. Après trois heures de voyage pendant lequel l’auteur traverse des villages « jadis riants » mais dont les maisons sont désormais couvertes d’ « invectives anonymes, tracées à coup de pinceau », le journaliste s’arrête à la gare de la Mouillère.

Gare de la Mouillère en 58
La gare de la Mouillère 10 ans plus tard en 1958, avant sa démolition.

Voici en ces mots le descriptif qu’il fait de l’ancienne gare dont la démolition a commencé à la fin des années 50 : « Et Mouillère nous accueille ! Avec son trottoir gluant de cambouis, son poinçonneur de billets au col crasseux. Des taxis jaunes se reposent dans une anse de granit. »

Le touriste d’un jour s’engage alors dans un taxi sur la place René Payot, « Hommage de la France reconnaissante à un journaliste impartial ». Arrêtons-nous un instant sur ce journaliste suisse qui de son vivant, obtient une place à son nom ! Payot a en effet cinquante ans quand la place portant son nom est inaugurée en 1944, un mois tout juste après la Libération comme l’évoque Eveline Toillon dans son ouvrage le plus connu, Les rues de Besançon. L’emplacement de la place n’est pas un hasard, la gare de la Mouillère menant à la Suisse. René Payot, bien que suisse, a été très célèbre pour avoir pendant la guerre commenté le conflit, l’Occupation avec une neutralité et bienveillance pour les Français. Depuis octobre 1941, René Payot s’est adressé aux auditeurs depuis les modestes installations de Radio-Genève chaque vendredi soir à 19 heures 25 pour leur donner son point de vue sur l’évolution du conflit. Ses reportages ont été pour les populations civiles françaises un moment de réconfort.

Frendzel décrit les lieux. Il évoque « Devant un immeuble aux murs démolis, l’on doute de la volonté de reconstruction. Le contraire nous est affirmé quand le pont de la République nous apparaît, blanc, symétrique, enjambant élégamment le futur compagnon de la Saône. »


les travaux de reconstruction du pont en 1947
Ce pont a été reconstruit en 1947

A l’heure de midi, le reporter helvète remarque aux abords des quais « Piétons, autos, vélos primitifs aux cadres rouillés, toute cette foule, tous ces véhicules pressés, avares de temps sont condensés, assagis, écoulés ensuite vers les rues adjacentes par un simple bâton blancs qui s’agite infatigable. »

Poursuivant chez nos voisins bousbots, un « triste spectacle » l’accable avec « des mendiants timides et honteux sur le seuil des portes, enfants anémiques, loqueteux, aux yeux ternes ». Même les animaux de compagnie affichent une certaine tristesse. L’envoyé rauraque décrit enfin les cafés de la ville qui apparaissent comme un lieu un peu plus joyeux, toujours en gardant une vision sévère de Besançon « A regarder vivre ces gens, déguenillés, la bouteille à la main, on est conscient de la misère d’une Nation ». Les provocateurs diront que ces scènes se poursuivent encore de nos jours, pourtant Besançon a bien changé.

tram avenue Carnot

Pour repartir à son point d’arrivée, Frendzel prend un tramway, la ligne Saint-Ferjeux-Mouillère qui dessert de nouveau les Chaprais. Là encore, le suisse ne fait pas dans la clémence signifiant « que les boulons sont mal vissés » et doivent « mettre à l’épreuve les habitants ». Ce que ne sait pas le touriste d’un jour c’est que la compagnie de tramway bisontine a d’énormes difficultés financières à cette époque et vit ses derniers mois.

Ainsi Frandzel quitte « Besançon, ville pauvre de France ». Pauvre certes mais qui sort d’un conflit meurtrier qui a détruit ses infrastructures, déporté des centaines de ses citoyens,… Depuis, Besançon a prospéré pendant les Trente Glorieuses avant de faire face à la crise des années 70, mais c’est une autre histoire.

Sources :

L’article a été publié le 19 mai 1948 sur le journal de Neuchâtel

Sur René Payot, on peut lire le livre de Michel Caillat publié en 1988 : René Payot- Un regard ambigu sur la guerre

Sur l’histoire des ponts, on peut revoir l’article de Christian Mourey : le pont de la République

Rappel ce jeudi 20 janvier 2022 à 15 h Conférence sur l’histoire des Chaprais :

120 photos et documents pour comprendre les changements de la rue des Chaprais, de la Rotonde, du Cercle, du Château rose et de la Liberté

Lieu salle 4 du Centre Pierre Mendès France entrée rue des Chalets

Respect des contraintes sanitaires (Pass, masque, nombre de places limité) Il est donc prudent d’annoncer sa venue à chaprais@gmail.com