Découverte d’une médaille de la fonderie des cloches de Besançon installée aux Chaprais

Découverte d’une médaille de la fonderie des cloches de Besançon installée aux Chaprais

      Cet article de M. Alain Weil est d’abord paru dans le bulletin n° 60 (juin 2020) de Renaissance du Vieux Besançon. Et puisqu’il concerne les Chaprais, son auteur nous a donné son autorisation de publication sur notre site. Nous l’en remercions vivement.                       

 L’histoire numismatique de la révolution Française est particulièrement complexe ; un des traits marquants qui la caractérise est la disparition du numéraire métallique. Dès les premiers mois de la Révolution, les monnaies d’or et d’argent se font rares et les pièces de cuivre viennent elles même à manquer. La Convention pense trouver un remède à cette crise en hypothéquant les Biens Nationaux pour émettre dès avril 1790 une monnaie de papier, les assignats. Mais cette initiative ne fait qu’aggraver la situation pour deux causes principales :

la prolifération quasi immédiate des faux et l’implacable soumission à la loi de Gresham qui, dès le 16° siècle constatait que la mauvaise monnaie chasse la bonne.

Alors, devant le manque persistant du cuivre nécessaire à la frappe des monnaies de faible valeur, le gouvernement de la République pense à utiliser celui du métal des cloches des monastères et des églises supprimés.

Dès août 1791, la Constituante avait signé deux décrets autorisant la frappe de monnaies en alliage à parts égales de cuivre et de métal de cloche, décrets qui furent complétés par deux autres pris en janvier et avril 1792. Hennin dans son célèbre ouvrage (*) résume aux pages 201 à 212 l’ensemble des dispositions et donne le texte du décret du 3 août 1791 :

Art. 1er. La fabrication d’une menue monnaie avec le métal des cloches aura lieu, sans délai, dans tous les hôtels des monnaies du royaume.

Art. II. Le métal des cloches sera allié à une portion égale de cuivre pur, et les flaons qui en proviendront seront frappés.

Art. III. Cette monnaie sera divisée en pièces de deux sous, à la taille de dix au marc, en pièces d’un sou, à celle de vingt au marc, et en pièces de demi-sou,à celle de quarante au marc.

Art. IV. Les poinçons et matrices pour la fabrication des pièces d’un sou pourront être fournis par le sieur Duvivier, suivant ses offres : et il sera tenu compte à cet artiste de ses fournitures, au prix qui sera fixé par l’Administration des Monnaies.

Art. V. Les Directoires des départements tiendront à la disposition du ministre, les cloches des églises supprimées dans leur arrondissement.

Art. VI .Le ministre des contributions prendra les mesures convenables pour procurer incessamment auxdits hôtels des monnaies le cuivre nécessaire, soit par le départ d’une partie du métal des cloches, soit en traitant avec les manufacturiers ; et il rendra compte chaque semaine à l’Assemblée Nationale de l’état de la fabrication. »

Pour faciliter la fabrication ordonnée par le décret d’août 1791, le roi fait procéder le 20 novembre à une proclamation «  Pour accélérer l’envoi aux hôtels des monnaies et autres établissements formés pour la fabrication des flaons,des cloches et des vieux cuivres des églises et communauté supprimées. »

Dans ce texte, il est constaté que seuls vingt quatre départements sur quatre vingt treize ont fait quelques envois de cloches aux hôtels des monnaies. Pour remédier à cette carence, le roi ordonne « les transports des cloches et des vieux cuivres…..seront effectués avant le 1er janvier prochain (et) enjoint aux Directoires des départements d’y tenir ponctuellement la

main et de certifier le complément de ces envois, avant le dit jour, au Ministre des contributions publiques ». 

(*) M. Hennin  « Histoire numismatique de la révolution française » Paris, 1826

Faivre cloche 1792

 

 Ces retards étaient d’autant plus condamnables qu’il avait été institué pour éviter de trop longs transports de cloche, des fonderies et (ou) ateliers temporaires à Paris, Saint Bel, Romilly, Maronne, Nantes, Saumur, la Charité sur Loire, Clermont Ferrand, Dijon, Besançon et Marseille. En fait, lorsque les flaons commencent à être disponibles en quantité suffisante au début de l’année 1792, seuls cinq établissements en dehors de Paris (couvent des Barnabites) procédèrent à la frappe du métal de cloche dans les villes de Besançon, Clermont Ferrand, Arras, Dijon et Saumur. »

Barnabites 1791

fonderie monais de cloche

Illustrations livre de Henin : couvent des Barnabites

Concentrons-nous maintenant sur Besançon et la médaille en métal de cloche. Elle est de forme ovale (3,5 X 2,4cm), possède une bélière et pèse 9,37 grammes.

médaille cloche DF

Son aspect fait tout de suite penser à la médaille du couvent des Barnabites, mais le nom de Chaprais et les initiales D.F. restaient pour les numismates un mystère. Mes premières recherches m’apprirent que Chaprais désignait un quartier de Besançon. Lors d’un séjour dans cette ville, j’eus l’occasion d’exposer mon problème à une responsable d’archives municipales qui se montra vraiment peu coopérative. Devant ma déception, on me mit en rapport avec un érudit local qui tient à garder l’anonymat, mais qui va accomplir un excellent travail en s’adressant au conseiller patrimoine du Cabinet du Maire, aux archives diocésaines et au président de « Renaissance du Vieux Besançon ».

médaille Chaprais 1791

Des recherches qu’il a menées, il apparaît qu’il existait effectivement une ancienne église Saint Martin des Chaprais détruite en 1814 et reconstruite par la suite. J’ai alors émis l’hypothèse que D.F. de part et d’autre de la cloche pouvait faire référence à Notre dame du Foyer, mais cette autre église bisontine (située rue des Cras) est fort récente !

Le mystère s’épaississait et ne put être percé que par l’intervention d’une adhérente de l’association Renaissance du Vieux Besançon, madame Mireille Boichot qui retrouva dans le n° 85 (5 avril 1936) de la revue « Le Pays Comtois » un étonnant article de dix pages sur « les migrations des cloches dans le Doubs » .

migration de cloches

 

Dans ce texte érudit de Louis Boiteux on apprend quel sort fut infligé aux cloches du Doubs entre 1791 et l’été 1793 époque à laquelle la loi du 23 juillet interdit plus d’une cloche par paroisse, les autres devant être fondues pour faire des canons. Pr la suite une véritable nouvelle loi du 11 avril 1796 réduisit au silence les survivantes.

Migration de cloches

Mais un trafic s’instaura très vite autour de la « migration » des cloches du Doubs avec des exportations illicites, ainsi que des trocs et des échanges plus ou moins secrets. Quelques extraits du texte de Louis Boiteux sont particulièrement éclairants à ce sujet et vont surtout permettre d’interpréter les initiales D.F. de notre médaille en métal de cloche :

« Combien de cloches avaient été détruites ? La statistique serait difficile à établir faute de documents complets. A notre avis, elle ne serait pas loin du chiffre de 500….Toutefois, il ne faudrait pas s’imaginer que la spoliation s’exerça sans provoquer de réaction. Le 16 février 1792, Tarbé, ministre des Contributions publiques, était obligé d’écrire au département du Doubs :

« « Je suis informé qu’il se fait sur les frontières des exportations fréquentes et assez considérables de cloches à l’étranger. Comme in n’est pas vraisemblable qu’elles proviennent des églises consacrées, il y a tout lieu de croire que ce sont des églises supprimées, dont quelques communautés ou particuliers disposent sans doute à leur profit….. » ».

En dehors de ces approbations occultes, quantité de municipalités profitèrent de l’occasion pour échanger leurs cloches fêlées ou désagréables contre celles qui allaient à la destruction et les administrations prêtèrent la main à ces trocs. On entend même le fondeur Denys Faivre des Chaprais, qui était chargé de transformer en flans les cloches des établissements supprimés pour ensuite les transmettre à la Monnaie (le 26 janvier 1792, la ville de Besançon fut autorisée à frapper cette monnaie), se plaindre amèrement de toutes manigances :

« toutes les municipalités qui traient d’échange de cloches cherchent à profiter de la faveur du moment » », écrivait-il le 14 novembre 1791.

Comme il fallait s’y attendre, l’exemple donné d’en haut finit par porter fruit, et Faivre lui-même, après avoir protesté contre les procédés administratifs, les adopta pour son compte. Dans un état livré au département le 1er octobre 1792, il signale cinquante échanges de cloches, dont une vingtaine de son chef….

Finalement de tous ces trocs résulta, comme il fallait s’y attendre, un imbroglio indéchiffrable, si bien que le 22 septembre, J.R.Antoine Renaud, membre du directoire, et Antoine-François Billot, procureur général, syndic du département, chargés de vérifier les livres du fondeur Faivre, concluaient : « « Le sieur Faivre est encore comptable de 59 728 livres de matières, tant de métal de cloches que cuivre, envers la nation, dont nous n’avons pu constater l’existence, pas même aperçu, en raison de celles qui se trouvaient mélangées avec de la terre !! ».

Les initiales D.F. ne se rapportent donc pas à un lieu ou à une construction, mais bel et bien à un personnage : « …le fondeur Denis Faivre, des Chaprais qui était chargé de transformer en flancs  les cloches des établissements supprimés ».

Denis Faivre signature

Signature de Denis Faivre (ADD)

Ainsi tout s’éclaire : notre médaille est un insigne de fonction ou un laissez passer d’une personne travaillant à la fonderie des cloches de Denis Faivre, dans le quartier des Chaprais à Besançon.

vérification du poids des cloches DF

Ayant identifié la fonderie et son directeur, il ne reste plus qu’à la situer dans Besançon. C’est encore un membre de RVB qui a trouvé la piste grâce à un extrait du livre de G. Coindre « Mon vieux Besançon » consacré au quartier de La Mouillère :

« La Mouillère proprement dite appartenait à la cité depuis le 20 février 1515 ; le terrain adjacent, c’est-à-dire celui de la brasserie, primitivement occupé par l’abbaye, ne fit partie du domine municipal qu’à partir de 1599, époque à laquelle les Gouverneurs donnèrent, en échange, celui où fut construit en ville le nouveau monastère. Alors les moulins ordinaires sont supprimés pour faire place à d’autres industries qui n’excluront pas le battoir ou foulon, dont l’existence ne parait pas avoir été compromise, jusqu’en 1659. A cette date, le Magistrat accensait à Pierre Prost, citoyen de Besançon, fourbisseur, le cours d’eau et le terrain nécessaire pour la construction « d’un martinet (*), édifices, chaussées, écluses, etc.…, mais de telle sorte que ce qui sera construit n’apportera aucun obstacle à la commodité des lavandières, non plus que de l’abreuvoir, ni en rien diminuera ou détériorera le prel joignant, appartenant à la cité » – le dit accensement pour vingt neuf ans, au prix de trente francs l’an.

– Pierre Prost, neuf ans après, sollicite la propriété de la Mouillère à accensement perpétuel, désirant établir « une nouvelle fabrique à canons, mousquets, fusils, hallebardes et autres armes utiles au public «   attendu les frais considérables d’un pareil établissement, il ne peut se contenter d’un accensement temporaire qui ne saurait l’indemniser de ses sacrifices. Le Magistrat accorde la concession au prix de cent trente francs. (…..) En 1791, nous y trouvons le martinet où l’on fondait les cloches enlevées aux églises ; c’est là que le Charles Quint de l’Hôtel de ville  fut jeté pour être transformé en gros sous.

Charles Quint à l'hôtel de ville

La fontaine Charles Quint devant l’Hôtel de Ville de Besançon

L’énigme de la médaille mystérieuse est maintenant totalement résolue. C’est un  document  unique et inédit d’un grand intérêt historique et numismatique puisque jusqu’à présent le couvent des Barnabites était la seule fonderie parmi la dizaine ayant fondu les cloches à nous avoir laissé un souvenir métallique de son activité par les classiques médailles répertoriées par Hennin (fig. 2 et 4).

 

(*) Martinet : marteau mu par la force hydraulique et servant dans les forges et divers moulins mécaniques.

     Alain  WEIL

     Expert honoraire près la Cour de Cassation

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