Au CDN, Eurydice sort de l’ombre

Au CDN, Eurydice sort de l’ombre

Un mythe réécrit par l’écrivaine Elfriede Jelinek, mise en scène par Marie Fortuit et superbement interprétée par l’actrice Virgile Leclerc

On connaît l’histoire d’Eurydice, morte deux fois : de la morsure d’un serpent puis du geste inconsidéré de son époux Orphée qui, venu la chercher aux Enfers, enfreint l’interdit et se retourne alors qu’il s’apprête à la ramener à la vie. Et si Eurydice avait exigé qu’il la laisse dans l’ombre ? Sous la plume acérée de la dramaturge autrichienne Elfriede Jelinek, le royaume des morts devient en effet le lieu de l’émancipation féminine. Loin d’un amour aussi astreignant qu’éreintant, des concerts à succès de son sérial-rockeur d’Orphée, la parole d’Eurydice se déploie, la jeune femme entame une existence nouvelle.
Eurydice

Après avoir exploré les blessures de l’enfance dans Le Pont du Nord, Marie Fortuit plonge en musique dans ce mythe revisité, qui inverse le topos de la femme abandonnée pour transformer sa solitude en force d’action. À Orphée, surface de fantasmes pour des fans hantés par leur vide, les feux aveuglants de la rampe ; à Eurydice l’obscurité révélatrice d’une vérité crue et sans fard. Avec Ombre (Eurydice parle), la descente aux enfers devient naissance d’une parole poétique libre et sauvage.

Eurydice

Sous la plume d’Elfriede Jelinek, Eurydice est une ombre certes, mais elle parle, elle se vide de tout ce qu’elle n’a jamais dit et ce faisant, accouche d’elle-même. Marie Fortuit en tire un spectacle de toute beauté, baigné d’humour et de mélancolie, qui rend grâce aux ombres de toutes espèces, pourvues qu’elles soient féminines.

Plus jamais on n’écoutera le mythe d’Orphée de la même manière. Depuis qu’Elfriede Jelinek a rendu sa voix à Eurydice dans un texte dense, radical et subversif, depuis que Marie Fortuit en a fait un spectacle fort et frémissant, la légende bien ancrée dans l’imaginaire collectif issu des récits fondateurs se renverse, se retourne comme un gant pour nous montrer sa doublure et ses coutures.

Eurydice CDN

Orphée devient un personnage secondaire, relégué à l’arrière-plan, tandis qu’Eurydice, sa femme, celle qui passe de vie à trépas, celle qui n’avait pas son mot à dire, déroule sa logorrhée intarissable, une parole trop longtemps retenue, empêchée, qui s’exprime enfin et ce faisant, la fait apparaître. Et Eurydice l’invisible, en parlant, s’auto-crée sous nos yeux. Exit le mythe de l’amour fou, des deux amants épris à la vie à la mort, qui imprègne d’une vision romantique ce récit plein de mystère où l’homme brave les enfers pour arracher sa bien-aimée à son destin tragique. Souvenez-vous, piquée par un serpent mortel, Eurydice, la pauvre, succombe le jour de son mariage. Encore une héroïne sacrifiée sur l’autel d’une littérature imprégnée de pensée patriarcale.

Chez Elfriede Jelinek, Eurydice est une fashion victime en mal de mère, fiancée à un chanteur populaire, qui tente vainement d’écrire.



« Il faut souligner le travail impressionnant de Marie Fortuit et sa comédienne sur le texte de Jelinek, qu’on entend magnifiquement[…], la langue tortueuse finit par nous happer, par nous charmer – comme Orphée et sa lyre, au fond. Eurydice a des choses à dire, et un mythe à déchirer. » Ariane Issartel



Durée: 1h40


CDN octobre 22

CDN Salle Karl Auer | Spectacle conseillé à partir de 14 ans
Une coproduction du CDN Besançon Franche-Comté
Mardi 4 avril à 20 h
Mercredi 5 avril à 20 h
Jeudi 6 avril à 19 h

03 81 88 55 11