Au cinéma cette semaine : Les bonnes étoiles et Nos frangins

Au cinéma cette semaine : Les bonnes étoiles et Nos frangins

Un road-movie à voir cette semaine : « Les bonnes étoiles » de Kore Eda



Kore Eda est un cinéaste hanté par le sujet de la famille qu’il décline de film en film. Dans Tel père tel fils un homme découvrait que l’enfant qu’il élevait n’était pas son fils biologique. Dans l’admirable Une affaire de famille Palme d’or au Festival de Cannes en 2018, une petite fille battue se réfugiait auprès d’une famille d’étrangers. Son cinéma bouscule les normes sociales de la famille et questionne le lien sous toutes ses formes.

Dans « Les bonnes étoiles » Une silhouette de femme avance sous une pluie battante. C’est une très jeune femme qui vient déposer un bébé dans une boite à adoption comme il en existe dans certains pays dont la Corée. Elle est observée par une femme flic. Deux hommes détruisent l’enregistrement de la caméra postée vers la boite. L’un tient un pressing et très endetté. Il récupère le bébé pour le vendre. La mère revient chercher sa part de l’argent de vente. Et les voilà sur la route pour essayer de vendre le bébé. S’ajoute à eux un petit orphelin loquace et joyeux. La voiture des flics les suit dans ce road-movie à travers la Corée.

Kore-Eda raconte une fois de plus une histoire de famille, d’une famille inventée. Les personnages n’ont aucun lien mais ils roulent ensemble de ville en ville pour rencontrer des couples et vendre l’enfant. Mais l’affaire ne se fait pas facilement. Le premier couple marchande. A chaque halte une difficulté.

Et chaque fois, ils repartent avec l’enfant et la douceur va se glisser progressivement dans le récit autour du nourrisson. Lorsqu’une femme qui veut acheter l’enfant pose comme condition qu’il ne revoie jamais sa mère, l’équipée repart.


Kore-Eda les bonnes étoiles


C’est un beau film sur le lien la parentalité car au cours du voyage des liens naissent, des moments de tendresse comme l’un d’eux où dans une chambre d’hôtel tous les protagonistes se remercient d’être né.

Cette nouvelle famille improbable, à l’origine bancale, devient source de liens et développe une autre histoire au fur et à mesure que la route déploie des situations nouvelles.

Qu’est-ce qu’une famille ? Est-ce le seul lieu de vrais liens affectifs. Ne pouvons-nous pas en créer d’autres tout aussi importants ? Qu’est-ce ce qui constitue le lien, la même chair ou la force de se retrouver ensemble ? de vivre une autre réalité tendre.

Il y a quelque chose de l’utopie chez Kore Eda, de création d’un nouveau mode de vie née de l’idée de vivre une autre réalité que la norme familiale édictée par l’état civil.



« Nos frangins » de Rachid Bouchareb

Nos frangins

Avec le film « Nos frangins » Rachid Bouchareb revient sur des événements réels de 1986 totalement en phase avec la réalité d’aujourd’hui. En décembre de cette année-là de grandes manifestations contre la loi Devaquet éclatent en France. Un jeune garçon Malik Oussekine meurt suite à des violences policières. La même nuit un autre jeune homme Abdel Benyahia décède parce qu’un policier ivre lui tire dessus. Tous les deux ont des parents d’origine algérienne. La mort de Malek Oussekine avait été médiatisée. Celle d’Abdel Benyaya oubliée. Le film lui redonne un nom.


Rachid Bouchareb s’empare de ces deux histoires et les traite avec des images d’archives et une reconstitution des faits grâce à la fiction. Le film interroge le contexte à l’aide actualités télévisuelles de l’époque et d’une une mise en image fictionnelle très réussie avec les acteurs Reda Kateb frère de Malik, et Samir Guesmi père d’Abdel.

L’usage en arrière-plan des actualités télévisuelles remet en perspective ce qui constitue l’époque à l’instar d’un commentaire hallucinant de Roger Pandraud : « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de sortir la nuit. » D’autres extraits nous montrent la visite de Mitterrand à la famille Oussekine, la prise de parole de Charles Pasqua qui traite les manifestants de « Gauchistes et anarchistes de tous poils ».

Côté fiction, la reconstitution travaille sur l’accès à l’information. On se trouve en face de deux familles à qui l’on cache la vérité.

Reda Kateb, le frère de Malik cherche à faire éclater la vérité. Samir Guesmi garagiste sur la réserve est atterré par ce qu’il découvre. Dignité et pudeur.

Les frangins

Et la grande idée du film est la présence d’un inspecteur de l’IGS, la police des polices qui fait le lien entre les deux affaires et reçoit l’ordre de ne pas annoncer aux familles ce qui s’est passé jusqu’au moment où il doit s’y résoudre parce que le mensonge est devenu intenable. Et dans l’ombre le gardien de l’institut légal fait des incantations la nuit à destination des deux martyrs. Il est le seul à savoir qu’ils sont là et veille sur leurs corps en attendant que les familles viennent les chercher. Témoin muet, il observe comment se construit le mensonge.

Suite à cette affaire les brigades motorisées à l’origine de ces violences policières ont été supprimées. Elles réapparaissent en 2018 sous un autre nom BRAV-M. Cette affaire fait écho aux récentes bavures policières : impossible de ne pas se souvenir de Cedric Chouviat mort par étranglement en 2020 suite à une intervention policière et aux nombreuses personnes décédées suite à des tirs de police.

Après le très beau « Un pays qui se tient sage » de David Dufresne titre allusif aux jeunes gens qui apparaissent dans une vidéo filmée en 2018 : on y voit 150 jeunes arrêtés, menottés, agenouillés avec hors champ le commentaire : « Voilà une classe qui se tient sage ». Et le très méconnu film de Frédéric Videau « Selon la police » passé trop rapidement à Besançon, le film « Nos frangins » traite avec force la question des violences policières s’appuyant sur une histoire vraie qui fait écho à ce qui se passe aujourd’hui.

Michèle Tatu