Janine Andrade, violoniste, une star, oubliée à Besançon ?

Janine Andrade, violoniste, une star, oubliée à Besançon ?

Née aux Chaprais, Janine Andrade est devenue une violoniste de réputation internationale

Savez-vous que cette bisontine, disparue il y a plus de vingt ans, est encore connue à l’étranger ? Savez-vous que ses disques sont encore aujourd’hui recherchés au Japon, en Corée du Sud ou encore aux Pays-Bas ? Cette artiste, star internationale de la musique classique est pourtant peu connue dans notre région.

Janine Andrade est née dans la clinique de la rue de la Mouillère en 1918 deux jours après la fin de la Grande Guerre comme en atteste cet acte de naissance :

Janine Andrade naissance

Au moment de sa naissance, sa mère Marguerite Lisbonne vit au sein de la famille paternelle. Marguerite (1890-1975) est issue de la communauté juive des anciens Etats du Pape à Avignon. Elle sert en tant qu’infirmière pendant la Première Guerre mondiale dans plusieurs hôpitaux de 1914 à 1917 avant d’arrêter son service le 22 décembre 1917 à Héricourt.

Son père, Gustave Andrade, médecin, est encore au front au moment de sa naissance. Né à Genève en 1888 au cours d’un déplacement de ses parents, Gustave rencontre très certainement sa future femme dans un hôpital de guerre. Après le conflit, il exerce son métier en Alsace et en Ile de France.

Rue des Villas Bisontines  nov 20
Rue des Villas Bisontines en 2020

Janine passe les premiers mois de sa vie chez ses grands-parents paternels rue des Villas Bisontines. Son grand-père, Jules Andrade (1857-1933) est alors professeur à la faculté des sciences de Besançon. Il réalise plusieurs ouvrages sur la physique contribuant ainsi au rayonnement de l’Université de Franche-Comté. Son plus gros apport a lieu en tant que fondateur de l’Ecole de chronométrie de Besançon, devenu aujourd’hui l’ENSMM (école nationale supérieure de mécanique et de microtechniques). Cette paternité étant attribuée par le comité des travaux historiques et scientifiques.

Jules Andrade

Polytechnicien, Jules prend fait et cause pour le capitaine Dreyfus pendant cette affaire qui secoue la République. Il n’hésite pas à contacter le ministre de la guerre pour faire réviser le jugement. Son engagement lui vaut d’être muté de Rennes, où il est professeur avant l’affaire vers Montpellier puis Besançon. Il est également lauréat de quelques prix scientifiques comme le prix Poncelet en 1917. Tout comme son fils, il devient chevalier de la légion d’honneur.
La famille Andrade est descendante de la vieille diaspora judéo-portugaise de Bordeaux, la plupart de ses membres sont arrivés à partir du début du XVIème siècle fuyant les tentatives de conversion forcée et l’Inquisition. Cette communauté prospère a contribué au développement économique de la cité bordelaise et de sa région.

Les Andrade quittent vers le milieu des années 20 Besançon et s’installent dans le Territoire de Belfort, à Beaucourt. La jeune fille que devient Janine montre des prédispositions pour la musique puisque vers l’âge de cinq ans, elle commence à jouer du violon. Partie étudier à Paris, Janine sort en 1931, premier prix de violon du Conservatoire de Paris après un an de formation auprès de Jules Boucherit, un des plus grands professeurs de violon français. Janine Andrade sera formée en même temps qu’une future grande violoniste, Denise Soriano, qui deviendra la femme de Jules Boucherit.

Après ce concours, sa carrière s’accélère, elle entame des tournées en France et à l’étranger, elle joue du Vivaldi, Beethoven et bien d’autres musiciens. Ses prestations font l’unanimité partout où elle passe.  

Le journal suisse Le Confédéré note dans son édition du 16 mars 1932 que Janine est « une artiste incomparable » dotée d’une « grande virtuosité » lorsque la jeune adolescente se produit à Sierre (Valais) devant deux cent cinquante personnes conquises par sa prestation. Elle continue à s’illustrer durant ces mêmes années de l’autre côté de Jura en jouant en 1933 notamment dans le canton de Fribourg.

La même année, dans l’Excelsior, un critique musical s’exclame enthousiaste : « Une seule représentante du violon, mais quelle représentante ! Depuis longtemps, nous n’avions pas éprouvé une telle émotion d’une qualité aussi pure ».  On peut l’entendre également pour des concerts sur les radios françaises et étrangères.

Ses prestations, remarquées lui ouvrent les portes de l’étranger et bientôt sa réputation dépasse les frontières, à vingt ans, elle est déjà une star mondiale dans son domaine jouant notamment en Amérique Latine sans pour autant délaisser la France où elle se produit dans de nombreuses villes.

Après le déclenchement de la guerre, Janine reste en France. Sous l’Occupation, elle se produit notamment dans la zone Sud ou encore en Normandie. Durant cette période,  ses prestations se font plus rares. Ses origines ont probablement limité son activité. Cela d’autant qu’un décret du 11 juin 1942 interdit les professions artistiques aux Juifs présents en France. Il n’est cependant pas possible de savoir si le ralentissement des spectacles de Janine est lié à sa situation personnelle. En effet, les convictions religieuses de la musicienne ne sont pas connues de l’auteur et d’autre part, aucun témoignage ne permet d’affirmer pour le moment que Janine ait été menacée par les autorités françaises ou allemandes.

Durant cette période, l’un de ses principaux partenaires est le pianiste Tasso Janopoulo. Au sortir de la guerre, elle poursuit sa carrière internationale en Allemagne et d’autres pays européens.

Une de ces années les plus fastes est  en 1950 où elle enchaîne plusieurs tournées dans le Benelux et dans le monde arabe avec le Liban, l’Egypte ou encore la Tunisie.

Janine Andrade concert 1950

Ses concerts internationaux se poursuivent dans les années suivantes.

Janine Andrade en concert

On la retrouve en 1964 dans une tournée sud-américaine qui s’arrête au Mexique ou l’année suivante dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Par décret du 26 août 1964, elle est élevée au rang de chevalier de l’ordre national du mérite.
Sa notoriété est immense au point que selon la légende, elle apparaîtrait dans une célèbre publicité italienne pour un alcool fort jouant de son violon. Cette pub mélangeant deux univers très différents a été diffusée dans les années 60 et 70 dans la péninsule.
Janine Andrade en Italie

En 1972, elle se produit encore notamment en avril à Paris. Cependant un accident cardiaque lui fait renoncer à sa carrière de violoniste et prive la France d’une de ses plus grandes violonistes de son temps. En effet, elle n’est plus en mesure d’assurer des représentations.

Janine se retire alors et s’installe en région en région parisienne non loin de sa mère. Elle s’éteint en 1997 à Levallois-Perret laissant quelques albums notamment une compilation d’enregistrements réalisés entre 1958 et 1960.

Janine Andrade disque

Aujourd’hui, cette musicienne est peu connue dans la cité bisontine ou dans le quartier des Chaprais. Cette situation nous interroge alors que des personnalités françaises ou étrangères sans rapport avec Besançon ont parfois donné leur nom à une rue ou un boulevard.

A l’inverse, une musicienne internationale née dans notre ville et dont la famille a vécu ici, a contribué au développement de la commune se retrouve réduite au silence. Alors peut-on imaginer un hommage bisontin à Mme Andrade ?

Pour les amoureux de musique classique, voici quelques uns de ses enregistrements disponibles sur YouTube :
Janine Andrade joue Paganini

Janine Andrade joue Brahms