Pollution industrielle : la fabrique de bleu de Prusse aux Chaprais en 1825
M. François LASSUS, pour faire suite au Café Histoire consacré au vallon de la Mouillère et animé l’an passé par M. Guy RENAUD, nous a aimablement communiqué cet article. Qu’il en soit vivement remercié.
M. François Lassus est un historien bien connu des bisontins. Il était Ingénieur d’études à l’Université de Franche-Comté, Institut d’études comtoises et jurassiennes. Il a écrit de nombreux articles publiés dans de nombreuses revues dont « Barbizier » éditée par le Folklore Comtois. Il a publié deux livres : « Vivre à Voray » aux éditions du Folklore Comtois et, avec G. Taredet « Noms de lieux en Franche-Comté aux éditions Bonneton.
Tout le monde connaît l’histoire de la distillerie Pernod, dont l’incendie en 1901 a fourni la preuve que la Loue est une résurgence du Doubs : n’a-t-on pas raconté que le déversement de l’absinthe depuis le Doubs a fait que les vaches (sans parler des pécheurs à la ligne) s’enivrèrent sur les bords la Loue ?
L’incendie du 11 août 1901 à Pontarlier
Le géologue Fournier, professeur à la Faculté de Besançon, a tiré toutes les conclusions scientifiques de l’événement.
Autre exemple à Besançon à propos de l’origine des eaux du ruisseau de la Mouillère qui, après avoir traversé le vallon auquel il donne son nom, se jette dans le Doubs au pied de la tour de la Pelotte,…
Dans les années 1820, l’Annuaire du Doubs donne chaque année la description du vallon :
« La source de la Mouillère, au pied des murs de Besançon, sous le bastion de Battant, est aussi une source remarquable, qui paraît due à quelque infiltration des eaux de l’Ognon, rivière située à un myriamètre [10 km] de Besançon. Elle faisait mouvoir un beau moulin, et arrosait un bassin embelli par une brasserie considérable et par plusieurs maisons et jardins de restaurateurs, très-fréquentés. Depuis le siège de Besançon, en 1814, époque où toutes ces habitations furent livrées aux flammes, la source coulant tristement au milieu des ruines, semble regretter les établissements animés qui l’environnaient et qui y attiraient chaque jour les promeneurs. »
En 1829 et 1830, ce passage sur l’origine des eaux du ruisseau est corrigé : l’origine est précisée grâce à une pollution provoquée par la fabrique de bleu de Prusse des Chaprais. En même temps, la présence de la brasserie, lentement reconstruite depuis le siège de 1815, est à nouveau signalée, ainsi que la création d’une clouterie qui ne fonctionna que peu de temps.
« La source de la Mouillère, au pied des remparts de la ville de Besançon, sous le bastion de Battant, parait due à quelque dérivation des eaux de Fontaine-Argent. Jusqu’à ce jour on avait pensé qu’elle venait de la rivière de l’Ognon, parce que l’on avait remarqué que ses eaux se troublaient en même temps que celles de cette rivière. Mais quelques flocons de résidus huileux, provenant de la fabrique de bleu de Prusse des Chaprais, et qui avaient été jetés dans un puits, creusé pour cet effet dans une terre franche, ayant paru pendant plusieurs jours à la source même, on s’est convaincu alors qu’elle n’était réellement que le débouché d’un ruisseau souterrain traversant les Chaprais. Elle faisait mouvoir un beau moulin qui a été détruit pendant l’invasion de 1814 ; sur l’emplacement de ce moulin on vient d’édifier une usine à fer, dont les marteaux marchent par le mouvement de rotation d’une roue hydraulique en bois, dont le diamètre est considérable. Cette source arrose un vallon étroit, où l’on voit une grande brasserie, et quelques jardins de restaurateurs.»
Photo Montrille
En 1837, la source de la Mouillère est à nouveau décrite avec de nouveaux détails sur l’origine de ses eaux et sur les usines qu’elle fait marcher dans le vallon :
« Au pied des remparts de la ville de Besançon, près du bastion de Battant, dans un enfoncement très-peu élevé au-dessus de l’étiage du Doubs, on voit une source abondante d’eau limpide, due en partie à quelque dérivation des eaux de la source de Fontaine-Argent ; elle est aussi le débouché d’un cours d’eau souterrain, venant de la colline boisée de Chailluz, qui traverse les champs de Palente. Elle fait mouvoir un lavoir, une scierie, un moulin à moutarde, etc. Ce ruisseau traverse un petit vallon étroit, où l’on a élevé une brasserie et un petit moulin à blé; il va ensuite se jeter dans les eaux du Doubs, après avoir baigné les fossés des remparts. La caverne qui donne naissance à cette source est vaste; elle s’étend bien loin sous la route royale de Besançon à Strasbourg : la première partie de cette excavation est remplie de stalactites. On ne peut y pénétrer qu’à la nage, attendu que dès la source les eaux sont encaissées dans un canal. »
Le petit moulin de la Mouillère (dessin G. Coindre)
Il n’est plus question alors de la fabrique de bleu de Prusse des Chaprais, sur laquelle l’Annuaire pour 1824 avait donné toutes les informations possibles. Propriété des frères Bonnet, elle était dirigée par le commandant en retraite Champion et le pharmacien Desfosses [1] 1 :
« FABRIQUE de bleu de Prusse et de prussiate de potasse, de
MM. Bonnet frères, Champion et Desfosses, de Besançon.
» La fabrique de MM. Bonnet est nouvelle et ne date guère que d’un an ; elle prend de l’accroissement, et le placement de ses produits lui assure des succès. On n’emploie dans cette fabrique que des matières animales solides, telles qu’os, cornes, etc., que l’on traite d’après le procédé économique de Chéoard, pour obtenir du bleu de Prusse, du prussiate de potasse et encore un bon noir d’ivoire. Le prussiate de potasse est purifié par un procédé chimique et amené à une belle cristallisation. Les échantillons qui ont été envoyés par les propriétaires de cette intéressante fabrique, sont des produits ordinaires et journaliers.
» Elle fabrique dans ce moment, d’après ses moyens actuels, 400 kilog. de noir d’ivoire par jour, que l’on vend 10 à 12 fr. les 50 kilog.; 30 à 40 kilog. de prussiate de potasse ferrugineux, qui valent 10 fr. le kilog.; et autant de bleu de Prusse de diverses qualités, de 5 fr. à 22 fr. le kilogramme.
» Cette fabrique naissante, qui n’emploie encore que 15 à 20 ouvriers, a un débit assuré de ses produits dans les manufactures de Paris, Lyon, Nîmes et Mulhausen [Mulhouse].»
Comme il est dit, le bleu de Prusse est obtenu à partir de la calcination d’ossements d’animaux : la formule existe depuis le début du XVIIIe siècle. C’est une couleur utilisée par les peintres, mais également en teinturerie.
à suivre….
[1]. Pierre-Antoine Desfosses (1792-1865), installé en 1821 dans la chaire de chimie de l’Ecole pratique de médecine. Membre titulaire de l’Académie de Besançon en 1822, membre de la Société d’Agriculture.
Source des documents photographiques : site Mémoirevive Besançon.