Qui étaient les 250 habitants de la rue de la Rotonde en 1891 ?

Qui étaient les 250 habitants de la rue de la Rotonde en 1891 ?

Les résultats des recensements sont conservés aux archives municipales. C’est une riche source d’information historique. Voici un exemple :

Le recensement de 1891 énumère 250 habitants rue de Rotonde

Sur l’ensemble du quartier, on recense 5636 habitants et donc 250 rue de la Rotonde. L’année 1891 est exceptionnelle, marquée par une baisse de la population des Chaprais après période de très forte croissance.
population des Chaprais au XIX°

Les habitants sont recensés par numéro de la rue, il y en a 85 côté impair (du n° 3 au n° 29) et 165 côté pair (du n° 2 au n° 30). Mais personne aux numéros 1, 6, 7, 10, 12, 13, 15, 16 et du 22 au 28. Des jardins ou des ateliers probablement. plan de la rue de la Rotonde en 1896
Ce plan date de 1896, on distingue 6 rues descendant la rue de la Rotonde vers la rue de Belfort en comptant la rue Charles Fourier

Sur le plan précédent date de 1883, la gare Viotte, la voie ferrée et la rue de la Rotonde sont visibles mais on observe très peu de constructions et on ne distingue que trois rues la joignant à la rue de Belfort.
plan des Chaprais Viotte Rotonde en 1883

Le registre (sous forme de feuillets) distingue le nom, le prénom, l’âge, la nationalité, la profession et le lien de famille
recensement Rotonde en 1891
Par exemple, au n° 18, vivait une famille suisse, le père Louis Bourdain, 27 ans, maçon, sa femme et leurs 4 enfants.
Le déchiffrage de l’écriture manuelle n’est pas toujours facile. Mais les tableaux sont clairs avec 30 personnes par page.

On relève la présence d’une quinzaine d’immigrés de nationalité suisse
D’après une enquête datant de 1911, ils étaient 7 843 dans le département du Doubs sur un total de 12 520 étrangers. Venaient ensuite les italiens au nombre de 2 467. Ceux de la rue de la Rotonde travaillent dans l’horlogerie, comme cordonnier ou libraire.

Un grand nombre de « journaliers »


« Journalier » désigne initialement dans le monde paysan, un simple manœuvre, c’est-à-dire un ouvrier manuel. Cette situation sociale se développe aussi dans les villes où ces personnes pratiquent une multitude de petits métiers en louant leurs bras à la journée. Les femmes faisaient souvent des lessives ou prenaient des enfants en nourrice. D’après l’encyclopédie Wikipedia

Jean Jacquart a écrit : « Les conditions de vie du journalier citadin sont encore plus difficiles qu’au village. Entassés dans les faubourgs ou les quartiers les plus pauvres, ou relégués dans les galetas des étages supérieurs des maisons, ils glissent souvent vers la mendicité ou la délinquance. »
En 1891, rue de la Rotonde, sur 112 personnes déclarant une profession 22 sont classées comme journalier (11) ou journalière (11). Cela signifie qu’elles n’ont pas un emploi régulier, surtout en période de crise, donc pas de revenus réguliers. On peut imaginer qu’elles pourraient actuellement être classées « au chômage », mais sans toucher d’indemnités.

Un grand nombre de métiers déclarés concerne l’habillement : plusieurs tailleurs, une modiste, des blanchisseuses, une repasseuse, des couturières et trois cordonniers etc … Sans qu’on puisse savoir si ces personnes sont à leur compte, travaillent dans un petit ou un grand établissement comme la bonneterie Druhen fondée en 1878 (rue de la Liberté)
Une publicité parue en 1923 indique l'entreprise au 10 rue de la Liberté

Dans plusieurs ménages, l’agent recenseur a noté non seulement la mention chef de famille, femme, fille ou fils, mais aussi « domestique ». Il s’agit de 4 femmes. Parmi les chefs de famille, on relève 14 femmes, certaines sont veuves.

Le contexte de la période :



Le quartier a été transformé par la création de la gare Viotte avec plusieurs lignes de voies ferrées puis plusieurs lignes de tram. (en rouge sur le plan de 1896)plan du tram aux Chaprais en 1896
Pourtant, rue de la Rotonde, très proche, il y a relativement peu d’employés du chemin de fer (8 seulement). Ils sont sans doute concentrés dans d’autres rues.
Selon Fabrice Petetin « En 1856, il n’y a qu’un employé de la P.L.M. aux Chaprais, mais nous en dénombrons 70 en 1861, 79 en 1866 et 129 en 1876… Les répercussions en terme d’emplois indirects (commerce, bâtiment et travaux publics) sont immenses. L’article de la Démocratie Franc-Comtoise sur les Chaprais affirme que la gare et le dépôt de machine des Cras a permis une augmentation d’un quart de la population des Chaprais. Force est de constater qu’entre 1856 et 1866, on passe de 968 habitants à 1733, soit une augmentation de la population de 765 habitants. En fait, la gare fait rentrer les Chaprais dans un cercle vertueux. L’arrivée de nouveaux habitants favorise le commerce, l’artisanat et le bâtiment. Pour faire face à ces nouveaux besoins la municipalité et les privés développent la voirie, créant des conditions acceptables pour une nouvelle population attirée par la ville et ainsi de suite. »

La fin du XIX° est marquée par une crise de l’horlogerie.
Les habitants de la rue de la Rotonde (souvent des jeunes, hommes ou femmes) sont assez nombreux (18) à travailler dans l’horlogerie ou la métallurgie. Il y a même un professeur d’horlogerie, Charles Lombard (50 ans) domicilié au n° 2.
2 rue de la Rotonde
L’actuel n° 2 rue de la Rotonde à l’angle avec la rue Baron

Le plus âgé, Jean Claude Coupot a 94 ans, il habite au n° 20, il est classé comme chef de famille avec fille et petite fille et déclare la profession de fondeur comme son fils habitant à côté.
20 rue de la Rotonde nov 20
On a du mal à imaginer qu’au n° 20, une belle maison bourgeoise actuellement, vivaient 30 personnes : les familles Richard, Coulon, Lardier, Mairey, Savary, Petitjean et Coupot.
Les familles nombreuses ne sont pas majoritaires, mais pas rares (Jules Gillot, peintre a 5 enfants au numéro 28, Alexandre Grammont a 4 filles au numéro 4).

Une variété de métiers

Parmi les autres métiers, on relève deux instituteurs, un libraire, deux typographes, un douanier, un cantonnier, un boucher, une épicière, une marchande de légumes, un garçon de café, un coiffeur, un maçon, un charpentier, plusieurs peintres, un forgeron, un jardinier, quelques employés de commerce et de bureau etc …

Que se passe-t-il à cette époque à Besançon ?

L’Union des syndicats ouvriers de Besançon et de Franche Comté est créée en 1891 (la CGT ne le sera qu’en 1895 au niveau national).
A cette date, le maire de Besançon se nomme Claude François Vuillecard élu en 1888. Il est avoué de profession et membre du parti radical-socialiste comme son prédécesseur Nicolas Bruand élu en 1884. Vuillecard sera réélu en 92 et 96, mais démissionnera en 1898. Il sera remplacé par Jean-Claudius Gondy. Voir larticle de 2017 sur la venue du Président de la République Sadi Carnot en 1890

Le pont Saint Pierre (en pierres) ne sera ouvert qu’en 1893 en remplacement du pont suspendu.
bains salins de la Mouillère
La station thermale de la Mouillère est ouverte depuis 1890 et le casino ouvrira en 1892.
Pendant ce temps, une épidémie de Fièvre typhoïde fait des ravages aux Chaprais. Elle a fait l’objet d’un rapport du docteur Perron démontrant qu’elle est transmise par l’eau polluée du ruisseau Fontaine-Argent captée pour la distribution de certains secteurs du quartier

Depuis 1884, la place Flore est dotée de la statue créée par Just Becquet
La place Flore avant l'élargissement de la Cassotte

130 ans après, la rue de la Rotonde a bien changé avec des dizaines de constructions nouvelles. Entre temps, des ateliers d’horlogerie (comme Ato au n° 13) ou d’autres ont vu le jour, puis ont cédé la place.

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