Quatre habitants des Chaprais assassinés dans l’Aisne

Quatre habitants des Chaprais assassinés dans l’Aisne

A Saint Martin des Chaprais, sur la plaque commémorative des soldats originaires de notre quartier morts lors de la première guerre mondiale, on peut lire les noms de René Balandier, Robert Viennet, Georges Boulanger et Marcel Liévremont.

liste victimes 1914-18 st martin (2)

Ils ont tous les quatre la spécificité d’être morts au combat   durant la bataille tristement célèbre du « Chemin des Dames » en 1917 à quelques kilomètres de Craonne.    Ce site deviendra   célèbre par une chanson dans laquelle les « poilus »   expriment leur désespoir d’être envoyés à la mort dans des assauts inefficaces et suicidaires.

René Balandier est mort à 22 ans le 17 avril 1917 à Moronvilliers (Pontavers), Robert  Viennet  le 19 avril  1917 à 21 ans  à Berméricourt, Georges Boulanger à 21ans  le 7 mai 1917 à Vendresse-Beaulne, Marcel Liévremont  à 20 ans à Cuissy et Geny (Pargnan)  le 16 juin  1917 des suites  des blessures  de l’attaque initiale.

 Avril/mai 1917, il y a exactement cent ans …

Depuis trois ans que dure le terrible conflit, français et allemands   se font face dans des tranchées sur une ligne de front qui s’étend de la Champagne à la mer du nord.

Depuis trois ans, tous les chefs militaires français ont pu constater que les soldats lancés à l’assaut des lignes allemandes sont   fauchés systématiquement par les mitrailleuses. On commence à peine à avoir quelques  chars et l’on prépare seulement les assauts  par des tirs d’artillerie  massifs et violents qui  créent, comme  le montrent les images de Verdun, des nomanslands  ressemblant à des paysages lunaires.  Les hécatombes restent  quantitativement  les mêmes  pour des avancées dérisoires.

Le général Robert Nivelle a  remplacé  Joffre  à la tête de l’armée Française. Le célèbre vainqueur de la Marne, qui s’est le premier obstiné dans ce type d’assauts meurtriers mais vains, est considéré désormais comme manquant d’audace.  Son successeur est l’étoile montante   du commandement en chef côté français, le général Nivelle.  Même le président Poincaré  tient à le promouvoir.  Lors de la conférence interalliée de Chantilly, le 16 novembre 1916, le brillant promu  a assuré tout un chacun qu’il se faisait fort d’obtenir  la «rupture » dans la zone située  entre Soissons et Reims, tandis que  les anglais  mèneraient de leur côté l’offensive dans la Somme.

En fait, les allemands, évidemment bien informés depuis cette date, ont effectué un repli stratégique dans la région sur une ligne densément fortifiée. Nivelle et son état-major prennent tardivement en compte cette nouvelle donne.

Sur les crêtes dominant le plateau du « chemin des dames », les Allemands ont puissamment fortifié leur ligne de défense (qui dispose de nombreuses grottes). Il y a par endroit, dit un spécialiste de cette bataille, jusqu’à une mitrailleuse allemande tous les dix mètres. L’espace à conquérir a été désertifié par l’ennemi qui y a pratiqué la politique de la terre brûlée.

Carte Craonne (2)

L’attaque prévue pour le 14 avril est reportée au 16, à cause du mauvais temps.

Il apparaît vite qu’elle  ne réussira pas. C’est un véritable carnage.  Les pertes sont considérables (30 000 morts et disparus, près de 100 000 blessés en une semaine, plus de 7000 tués en ce qui concerne les tirailleurs sénégalais. On n’avance que de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus.

« Je renoncerai si la rupture n’est pas obtenue en quarante-huit heures  » promettait Nivelle

Le 16 avril au soir, le front allemand est à peine entamé. L’échec de l’offensive est, en fait, consommé en 24 heures

chemin des dames

Elle sera une des causes majeures des mutineries qui vont avoir lieu dans l’armée française pendant l’été 1917.

Le soldat Louis Barthas, dans le civil tonnelier dans son village de l’Aude à Peyriac-Minervois, décrit ainsi la situation dans son journal en juillet 1917:

«Nos généraux devaient être satisfaits. Qu’importait le chiffre des pertes humaines, ce qui comptait c’était de pouvoir alimenter les communiqués, de maintenir, comme ils disaient, l’activité du front. !………..Avoir fait reculer les Allemands de quelques hectomètres c’était suffisant, héroïque, mirobolant, c’était une grande victoire ; en réalité, c’était un massacre inutile… »

« Quatre habitants des Chaprais assassinés dans l’Aisne »…..  Un titre, tel que celui   que j’ai choisi, était évidemment inconcevable en 1917, dans la presse locale et même dans les soixante années qui suivirent. La France n’était pas fière de cette bataille où 14 000 de ses enfants furent envoyés en quelques jours à un  massacre assuré par des chefs incompétents.

Aujourd’hui, à juste titre, nous   dénonçons les atrocités   de la guerre de Syrie ; mais les chiffres des victimes y font encore pâle figure à côté de ce que nous avons appelé notre « Grande guerre ».  La France, qui se flattait à l’époque d’apporter « la civilisation » en Afrique, au Maghreb, en Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge), n’hésitait pas à envoyer sa jeunesse se faire massacrer dans des opérations-suicides.

A l’heure où plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont  cru devoir exprimer  leur projet  sur  l’enseignement de l’Histoire  en France, à l’heure où a été posé par eux  le problème du « récit national », il est  intéressant de  se poser la question.

Qui  était « la  France »  en avril/mai 1917 ?

  • Les soldats français héroïques venus mourir en ces lieux de tous les coins de la France tels René Balandier, Robert Viennet, Georges Boulanger et Marcel Liévremont ?
  • Les soldats africains qu’on avait « civilisés… » (tirailleurs sénégalais) littéralement envoyés à l’abattoir ?
  • Les généraux  incompétents auxquels  il fallait obéir sous peine d’être « fusillés pour l’exemple » ?
  • craonne sénégalais 1

Les américains,  dès 1935 par le livre  de Humphrey Cobb « Les sentiers de la gloire » ont mis le doigt sur ces  horreurs en traitant du précédent de 1915 où quatre  caporaux français  avaient été  « fusillés pour l’exemple » pour avoir reculé dans une mission impossible.  En 1957, ils en ont fait un film  au titre  éponyme par la  caméra  de Stanley Kubrick.  Il faudra attendre 1975 pour que celui-ci soit  distribué en France…(ne pas salir l’image de la France et de son armée).  Il faudra les années 90 pour voir des hommes politiques français prôner la réhabilitation de ceux qui avaient refusé de donner leur vie inutilement  en 1917 et qu’on avait appelés « les mutins ». Il a  fallu attendre  Avril 2017, soit exactement cent ans, pour que la  chanson de Craonne  soit  chantée dans une cérémonie  officielle  devant le président de la république.

« L’Histoire »  ce sont  des faits  et c’est un tout.  Il ne s’agit pas de choisir ce que l’on va enseigner ou ce que l’on va cacher, mais de faire en sorte que les générations  futures,  tout en restant fières de leur pays,  tirent les enseignements du passé et le connaissent.

Guy-Georges Lesart

Groupe Histoire de « Vivre aux Chaprais

 

NB : René Balandier, Robert Viennet et Marcel Lievremont reposent à la nécropole nationale de Cormicy « la maison bleue ». Elle s’étend  sur 44 213 m2. 14 418 corps  de soldats  y ont été inhumés, dont 6 945 en deux ossuaires.
Georges Boulanger est à celle du village de Soupir.

 

Chanson de Craonne (refrain)

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C’est nous les sacrifiés !

 

About Author