Saviez-vous que des milliers de civils britanniques ont été internés à la caserne Vauban ?

Saviez-vous que des milliers de civils britanniques ont été internés à la caserne Vauban ?

Besançon, le souvenir d’un stalag

La mémoire de la Seconde Guerre mondiale est omniprésente. Pourtant des faits importants sont peu connus du grand public. C’est le cas du stalag de Besançon la plus grande histoire d’internement de Franche Comté. Voici le souvenir du Frontstalag 142

Dans l’écoquartier Vauban, les immeubles sortent de terre. Les traces du passé militaire de l’ancienne caserne se font rares. Quelques vestiges rappellent le souvenir de ce passé martial. En ces murs, le système d’internement nazi a existé. Nous sommes en décembre 1940 à la gare de Besançon Viotte
gare Viotte

Des convois arrivent de région parisienne. Ils transportent des femmes, des enfants, des vieillards. Ils viennent des quatre coins de la France. Leur point commun : être citoyen du Commonwealth. Depuis la capitulation de notre pays, l’Empire Britannique fait face seul aux nazis. La Débâcle a bloqué des milliers d’anglo-saxons en France. En tant que nation d’un pays ennemi, les Allemands organisent l’internement de ces personnes.

Les Britanniques sont disséminés sur l’ensemble du territoire. La plupart des anglo-saxons habitent dans le Nord, en région parisienne, en Normandie ou encore dans le Bordelais. Les familles britanniques sont dans un premier temps réunis autour de Paris. Ils ont ensuite été séparés. Les hommes sont internés près de la capitale. Les femmes, enfants et vieillards sont envoyés dans des trains direction la Franche-Comté. La caserne Vauban est choisie pour abriter les infortunés. Depuis juin 1940, des soldats français y sont emprisonnés. Le stalag, nom des camps de prisonnier porte le numéro 142.

Le colonel Robert Dutriez est l’un des rares auteurs à évoquer la mémoire de cet événement. Il rapporte le témoignage d’un médecin du camp. Ce dernier affirme que des milliers de soldats français quittent les baraquements à partir de novembre. De même, à l’hôpital Saint-Jacques, les occupants réquisitionnent une centaine de matelas le 14 décembre 1940. Une partie de l’hôpital sert à abriter les internés les plus faibles. Aussi sans que personne ne le veuille, le centre sanitaire devient une partie du stalag. Le stalag change de statut, il devient un ilag. Un ilag est un camp d’internement dédié aux populations civiles.

Quelques jours auparavant les premières familles britanniques sont arrivées en gare de Besançon Viotte. Madeleine Steinberg, internée avec sa mère en février 1941 raconte soixante ans plus tard :

« Il faisait nuit lors de notre arrivée à Besançon où il gelait et où une épaisse couche de neige durcie couvrait le sol. À notre arrivée, les Allemands qui voulaient nous impressionner, et même nous terroriser, nous firent attendre très longtemps avant de nous faire descendre du train et de nous diriger à pied vers la caserne Vauban.


caserne charmont entrée

Les gardes étaient accompagnés de gros chiens qui aboyaient et tiraient sur leur laisse, et ils nous entouraient en hurlant des ordres en allemand. C’était une nuit sans lune. Passée la grande porte d’entrée de la caserne, nous fûmes encadrées par d’autres Allemands et par des prisonniers français sénégalais1 ».

Les conditions de vie sont extrêmement précaires. L’hiver 1941 est particulièrement froid. Les lieux pour se chauffer sont limités, la nourriture n’est pas disponible en grande quantité. Des maladies apparaissent. Il n’est pas rare que les internés doivent compter sur des soutiens extérieurs pour obtenir vêtements, nourriture, médicaments. Les produits de première nécessité sont parfois achetés par les internés eux-mêmes. La surpopulation du camp entraîne de la promiscuité. Certains journaux anglophones évoquent que des baraquements comprennent plus de cinquante personnes. Des internés décèdent. Les victimes sont emportées par la tuberculose ou la grippe. Une liste de la commune de Besançon évoque la disparition de vingt et une personnes. Une lettre du préfet du Doubs parle de vingt-quatre morts. Pour l’essentiel, les victimes sont des personnes âgées.

Le destin de William John Burrow en est une illustration. Né en 1869 à Marlborough, il est en France depuis plus de quarante ans au moment de son internement. Il a travaillé une bonne partie de sa vie en tant que tailleur de costumes en région parisienne. Il est marié avec une française et a eu des descendants habitant vers la capitale. Il est arrêté à son domicile de Puteaux. Pourtant, il se retrouve interné parmi les premiers le 7 décembre 1940. Il est envoyé à Saint-Jacques. Il y décède le 12 mai 1941. Si aucun décès d’enfant n’est à recenser, les plus jeunes souffrent de ces conditions extrêmes. Certains n’ont pas de souliers, beaucoup portent des vêtements de militaires pour limiter le froid.

Les conditions de détention, si éprouvantes, ne laissent pas indifférentes le monde anglo-saxon. La nouvelle est connue à partir du 12 décembre dans un article du Herald Tribune. La nouvelle se propage dans l’ensemble du monde anglophone. Scandalisé, le gouvernement britannique tente d’aider ses ressortissants au mieux. Le secrétaire d’État aux affaires étrangères, Anthony Eden, parle de ces événements au Parlement. Dans le camp, les soutiens des internés ne sont pas légion.


caserne Charmont Vauban

L’ambassade des États-Unis tente de recenser les personnes internées. L’Amérique n’est pas encore en guerre. La Croix-Rouge intervient également dans les baraquements. L’organisation humanitaire tente d’apporter un soutien aux malheureux. Marcel Junod, un célèbre délégué suisse visite le camp vers le 23 février 1941. L’affaire reste cependant cachée en France. Peu d’éléments circulent dans la presse d’occupation. Lors de la création du Stalag en décembre 1940, aucune information n’est citée dans le Petit Comtois, journal de référence de Besançon. Dans les pays neutres, quelques articles évoquent cette tragédie notamment en Suisse.

Pourtant, d’autres soutiens arrivent. L’Église se mobilise. En effet, quelques centaines de sœurs sont internées dans le camp. Elles sont emmenées à Besançon par petits groupes au gré des arrestations. Leur présence semble se porter essentiellement sur la fin de l’hiver 1941. Les articles de la presse britannique font état de leurs arrivées à ce moment. Les pressions diverses, la volonté des Allemands d’étouffer un scandale font fermer le stalag. Progressivement, une partie des internés est libérée sans raison particulière. Ce n’est pas la fin des déboires pour autant. Les Britanniques doivent souvent payer à leurs frais le train pour rentrer chez eux. A leur retour, ils sont assignés à résidence, surveillés par les soldats de la Wehrmacht. Les moins chanceux qui restent dans le camp poursuivent leur chemin dans les abîmes. Ils sont transférés dans un nouveau camp à Vittel en mai 1941. Dans la cité vosgienne, les malheureux resteront jusqu’à la libération en 1944.

Par delà cette histoire, le destin de ces milliers de britanniques, canadiens, australiens, néo-zélandais ,… demeure ô combien peu connu. A Besançon, une poignée de personnes seulement connaît cette histoire qui a pourtant marqué la vie de près de 4000 personnes. Seule trace visible de cet événement, le carré militaire du cimetière de Saint-Claude. Quelques tombes portant la mention « interné anglais » rappelle cette histoire tragique.


cimetière St Claude

Sources :

Archives départementales du Doubs :

Cotes :

57 W 37, 340 W 162, 2452 W 55, 2452 W 95

Archives privées issues musée de la résistance et de la déportation.

Bibliothèque d’études et de conservation :

Cote 1J229

Colombes (Hauts-de-Seine, France) – Tables de successions et absences | 1941 – 1942

Presse :

Advocate, 10 avril 1941

The Advertiser, 10 juillet 1941, 22 juillet 1941

Chronicle, 17 avril 1941

The Courier-Mail, 15 avril 1941, 4 décembre 1941

Daily Mercury, 23 juillet 1941, 15 novembre 1941

Daily Mirror, 12 janvier 1942

The Herald, 25 janvier 1941

La Liberté, 15 mai 1942

The Newcastle Sun, 1 février 1941, 6 novembre 1941

News, 20 janvier 1941, 4 décembre 1941

La Sentinelle, 24 février 1941

Southern Cross, 2 mai 1941

The Sun (Australie), 26 janvier 1941, 1 février 1941, 18 février 1941

R. Dutriez, Besançon, années 1937-1945, quelques épisodes mal connus ou oubliés, Cetre, 2013, pp.33-61

Un grand remerciement aux personnels des archives départementales de Besançon, du musée de la résistance et de la déportation de la citadelle de Besançon et de la bibliothèque d’études et de conservation de Besançon pour leur aide à la réalisation de ce sujet.

A Marcel et à tous les internés des stalags.

1STEINBERG Madeleine, « Paris, Besançon, Vittel 1941-1944. Une internée civile britannique témoin indirect de la fin du ghetto de Varsovie », Revue d’Histoire de la Shoah, 2004/1 (N° 180), p. 315-360. URL : https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2004-1-page-315.htm

Prochaine conférence d’histoire : par Michèle Tatu : Histoires du cinéma à Besançon jeudi 5 octobre 2023 à 15 h 30 au FJT La Cassotte Entrée libre