Epidémie aux Chaprais en septembre 1885 : la qualité de l’eau en cause

Epidémie aux Chaprais en septembre 1885 : la qualité de l’eau en cause

L’épidémie de fièvre typhoïde aux Chaprais : une leçon d’histoire !

Christian Mourey revient sur ce fait historique et propose une synthèse à partir de l’étude du docteur Gauderon



Épidémies de fièvre typhoïde à Besançon en 1885 et 1886
De fin 1885 à début 1887, Besançon subit trois épidémies de fièvre typhoïde d’importance inégale et de localisation disparate. La première concerne le quartier des Chaprais de septembre 1885 à mars 1886. Elle y cause 36 décès. La deuxième, de plus grande intensité, affecte la « vieille ville » d’avril 1886 à août 1886, 550 personnes sont atteintes, 72 en meurent. La troisième, réplique de la précédente, provoque 19 décès de novembre 1886 à janvier 1887 La première épidémie limitée aux Chaprais, semble liée au ruisseau Fontaine-Argent. La carte de l’épidémie se calque sur l’aire de distribution des eaux de cette source. Le docteur Perron en donne d’abord une lecture statistique.

L'eau à Besançon plan Perron

En vert, le secteur viabilisé à partir des sources de Bregille. En bleu, la desserte des eaux de Fontaine-Argent. Les points rouges, les maisons où la maladie s’est déclarée et le nombre de morts qu’elle y fit. La carte a été dressée par le Directeur des Eaux de la Ville en 1889.
Mais quelle était l’origine de cette bactérie tueuse ?
On évoque un curage du ruisseau réalisé en 1885. Mais le trouble ne pouvait être que temporaire. Il ne concernait que l’aval du captage situé rue de Chalezeule, Place des Lumières, derrière la crèche. Ce branchement opéré en 1457, soit mille ans après la destruction supposée de l’aqueduc romain d’Arcier reprend du service en 1875 pour alimenter le haut des Chaprais. Trente ans après leur retour, les eaux d’Arcier ne suffisent plus à suivre l’urbanisation des Chaprais, de Saint-Claude et de Saint-Ferjeux. La situation bisontine s’améliore avec le captage des eaux d’Aglans au Sud-Ouest de l’aérodrome de La Vèze et la mise en place de compteurs individuels. Le recours à la source de Fontaine-Argent fut plus bref que prévu. La fièvre typhoïde réapparaît aux Chaprais en 1888 et 1889. Une autre hypothèse fleurit dans l’opinion. La population a gardé le souvenir de l’exploitation d’un charnier situé en lisière du bois de Chalezeule. En 1883, un industriel est autorisé par le préfet à prélever les os des boeufs enfouis à cet endroit 12 ans plus tôt.

A l’ouverture du chantier, des émanations fétides parcourent toute la combe du clair soleil. La population obtient l’arrêt de l’exploitation et la pose d’une épaisse couche de terre sur le charnier. On s’aperçoit que des drains destinés à assainir les terrains entre la fosse et le captage aboutissent directement au château d’eau. Ce charnier trouve son origine dans la guerre de 1870. Le 18 novembre 1870, la municipalité redoutant un éventuel siège achète 171 têtes de bétail qu’elle héberge dans des baraquements récemment construits dans le jardin de Saint-Maurice. A la fin des hostilités, elle revend une partie du bétail, enfin ce qu’il en reste, la peste bovine ayant auparavant éclairci les rangs du troupeau et comblé le charnier des hauteurs des Clairs-Soleils. La deuxième épidémie intramuros du printemps 1886 particulièrement meurtrière (72 décès) affecte toute la ville sauf les zones utilisant des citernes ou les eaux d’Aglans. La carte de l’épidémie est celle de la distribution des eaux d’Arcier. Le docteur Gauderon se rend sur le plateau de Saône avec Mr Jeannot, agent des eaux de la ville. L’épidémie avait été soudaine, virulente et brève. Vingt jours de mai lui avaient suffi. L’épidémie de 1856 avait mis onze mois pour entraîner 228 morts. Celle de 1861, cinq mois pour 160 décès. Les épidémies de fièvre typhoïde se répètent alors tous les ans. Le 20 mai 1886, les 2 enquêteurs constatent que les rivages riverains du Marais de Saône n’ont pas été touchés. Munis d’une simple carte d’Etat-Major, ils s’intéressent au gouffre de Nancray où disparaît le ruisseau du village. Une expérience au sel marin révèle que cette eau rejoint la source d’Arcier en 8 heures.

source d'Arcier

Le retour des eaux d’Arcier en mode romain est un voeu qui jalonne l’histoire de Besançon. Au milieu du 19 ème siècle, il devient réalité. Mais les négociations avec les gens d’Arcier, les industriels établis à la source notamment furent laborieuses. Il fallut trois maires bisontins, Micaud, Bretillot et Convers pour mener le projet à son terme.

Ils apprennent aussi qu’à 800 mètres du village, en contre-bas, 35 têtes de bétail victimes de la fièvre aphteuse en décembre 1885 ont été enfouies dans un charnier aménagé sommairement, sans désinfection. D’ailleurs la pureté des eaux d’Arcier, à cette époque, est sujette à caution. Le docteur Druhen écrit en 1857 : « l’eau des nouvelles fontaines alimentées par Arcier manque de fraîcheur en été, de limpidité en tout temps. Elle imprime aux vases où elle séjourne une odeur fade, herbacée et désagréable. Elle recouvre les fontaines de boue, de mousses, de conserves et d’autres plantes aquatiques qui forcent à les écurer tous les 15 jours. La vase prélevée dans la cuve de Sainte-Madeleine (la place Jouffroy n’est pas encore réalisée) recueillie dans un récipient clos a produit après 5 à 6 jours, une odeur fétide semblable à celles de matières animales en putréfaction ».
Une source provenant des Granges de Montfaucon est rejetée directement dans l’aqueduc. Les eaux d’Arcier ne seront javellisées qu’en 1916 par un simple goutte à goutte dans les réservoirs et filtrées sur bancs de sable qu’en 1935, à la Malate.

La situation sanitaire de Besançon en ce début de Troisième République est catastrophique. 29 ème ville française pour l’importance de sa population, Besançon est huitième pour la mortalité due aux maladies épidémiques et contagieuses (typhoïde, variole, diphtérie, choléra et surtout tuberculose). La ville est en tête pour la mortalité infantile. Seul un enfant sur deux atteint l’âge d’un an. Les Bisontins subissent un urbanisme contraint par les servitudes militaires. La ville ne peut s’étendre au-delà des murailles de Vauban. Le royal architecte avait sécurisé 15 000 habitants ; nous sommes alors 50 000 plus 5 000 militaires.

Battant sans quai

De l’autre côté du pont, Arènes… extraordinaire ! D’abord un pâté de baraques sur les bords du Doubs
« les étages avancent et reculent, les chambres ressortent en cabinets, en moucharabys. Mélange incroyable de colombage, de bouts de planches, de poutrelles, de lattes clouées, de treillis, de cages à poulets en matière de balcons ; tout cela vermoulu, fendillé, noirci, verdi, culotté, chassieux, refrogné, caduc, couvert de lèpre et de callosités à ravir un Bonington, un Decamps ; des tons vineux, sanguinolents, délavés par la pluie, complètent l’aspect féroce et truculent de ces taudis hasardeux » Théophile Gauthier. Genève

Autre explication à cette fièvre typhoïde qui frappe beaucoup les enfants et les militaires à chaque printemps et à chaque automne au cours du XIX ème siècle : Chamars.

pont de chamars

Le pont de Chamars, 4 arches gardées par les vases de Boutrille fut construit peu de temps avant la
Révolution. Il disparaît lors du comblement des fossés et refait surface, à hauteur du commissariat de la gare d’eau, en 2013, lors des travaux du tramway. Bordé avec précautions, il est depuis retourné à son sommeil.


En 1832, on creuse la gare d’eau. Le canal qui traverse ce qui fut une belle promenade d’agrément au lendemain de la conquête française est coupé. Les fossés où l’eau était courante deviennent marais où se déversent même les égouts de l’Hôpital. Il faut attendre le comblement de ces fossés en 1873 (avec une partie du talus de Vauban situé derrière Condé) pour que l’épidémie cesse d’être endémique. C’est à l’époque de ces travaux que sont réalisés de 1864 à 1880, les Quais de Strasbourg et Veil Picard pour des raisons essentiellement sanitaires. A chaque crue la rivière abandonnait son eau dans les caves où elle croupissait. Treize ans après l’épidémie de 1873 qui fit 144 victimes, le retour en force de la fièvre typhoïde en 1886, après les travaux de Chamars et des quais, interpelle les autorités. La troisième épidémie de ces années 1885/1886 survient en fin d’année 1886. Une sécheresse prolongée a régné de mai à octobre, mois où des pluies abondantes troublent les eaux d’Arcier. Elle fait 19 victimes intramuros. C’est une réplique de la précédente.

Les conclusions du docteur Gauderon envisageant la responsabilité des charniers du bois de Chalezeule et de
Nancray ne furent pas partagées par tous ses collègues. Un vétérinaire anonyme le contredit même dans « Le Petit Comtois », quotidien bisontin de gauche. Gauderon n’eut pas accès aux laboratoires nationaux pour solliciter les analyses qui s’imposaient. Mais il a su convaincre.
En 1891, il reste aux Chaprais trois abonnés à l’eau de Fontaine-Argent qui alimente encore la Fontaine Flore
et les bouches à incendie du quartier.
Cascade Viotte
En bout de ligne, à proximité du rond-point Tver, une citerne volumineuse régulait le débit de ce réseau. Son surplus animait une cascade dite « de la Viotte » reconstituée en haut de la rue Isenbart. La rocaille y est toujours visible, mais à sec. La citerne fut mise à jour lors des travaux du tram de 2013 (là aussi). Elle est retournée à la clandestinité sans visite préalable



A Nancray, de 1885 à 1906, on prit des mesures préventives contre la pollution des eaux d’Arcier.


Avec le savoir des uns et l’incompréhension des autres, nos prédécesseurs ont corrigé à leur façon les affronts
jetés à notre plus fidèle compagne, à celle à qui nous devons tout, l’eau. La balle est toujours dans notre camp.
Christian MOUREY

Bibliographie : « De la fièvre typhoïde à Besançon » par le Docteur Eugène Gauderon

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