La construction de l’immeuble Le Président : la polémique…
Dans l’article précédent, nous indiquions que le projet initial de construction de l’immeuble Le Président portait sur environ 200 logements ramenés au final à 136.
Le décompte fait état de 26 deux pièces/cuisine, 13 trois pièces, 43 quatre pièces, 35 cinq pièces, 13 six pièces, 4 sept pièces, 1 huit pièces et 4 neuf pièces . Sans oublier les 14 chambres de « bonne » (attenantes aux grands appartements) et 14 chambres individuelles. Le tout sur une surface totale habitable de 15 059 m2. Auxquels il convient d’ajouter 416 m2 de bureaux, en rez de chaussée des immeubles, le reste étant occupé par les pilotis, les galeries couvertes et 4 conciergeries. A propos des pilotis, M. René Chevillard qui dessinait alors les plans à la SMCI se souvient qu’il avait fallu forer 198 puits pour asseoir cet immeuble sur ce terrain instable !
Rappelons que le permis de construire avait été accordé le 29 mars 1968. Et que c’est seulement en 1969 que cette construction est brièvement évoquée en conseil municipal, le 25 octobre 1969, à propos de l’état des escaliers reliant la rue Isenbart à la rue des Villas. En effet M. Leroy des Barres, conseiller municipal, intervient publiquement lors de conseil sur l’état de cet escalier après la démolition de la brasserie et suggère que le promoteur pourrait faire un effort pour le remettre en état. Il ajoute « …cet immeuble considérable qui se veut majestueux, mais dont – il faut bien le dire- la masse et surtout la hauteur ont détruit désormais le panorama unique que l’on pouvait avoir depuis l’avenue Foch sur la Citadelle et une partie de la vieille ville. Certains diront que c’est un scandale. Je regretterai simplement quant à moi, que l’on puisse aisément disposer de ce qui devrait être le patrimoine de tous les bisontins ».
Le Président, en bas, à gauche. Au premier plan l’ancienne passerelle Denfert Rochereau
Et voici quelle fut la réponse de M. Jean Minjoz le maire de l’époque.
Car l’immeuble commence à sortir de terre et inquiète les bisontins. Et la presse s’en fait l’écho, en particulier le journal Le Comtois, dans une rubrique intitulée « De Battant à Granvelle » et signé de « Barbizier ».
Trois articles seront publiés en août 1970. Le premier intitulé « Président » paraît le 7 août 1970, suite le 10 août de « Le Président, suite » et le 12 août de « Le Président, encore… ».
Nous vous donnons à lire, ci-dessous, le dernier de cette série :
Le Président (encore)
Comme c’était à prévoir, les deux récents billets que j’ai consacrés à l’immeuble « Le Président » (citant tout d’abord les propos d’un « Bisontin d’adoption » résolument hostile à cette construction, et reprenant ensuite les explications données par M. Minjoz, maire, quant au processus de la délivrance du permis de construire), ces deux billets, donc, ont déchaîné des réactions épistolaires en quantité. On m’excusera de négliger volontairement la querelle partisane – on pourrait même dire les querelles, car un sujet en entraîne un autre etc. – que traduisent ces lettres qui déferlent sur mon bureau, pour ne retenir que celles qui tendent à informer l’opinion publique sur ce qui s’est passé.
C’est à Pierre Jouffroy, artiste peintre bien connu, que je laisse aujourd’hui la plume :
« Vous avez parlé, écrit-il, de la commission des sites du Doubs, et du rôle de la municipalité dans l’affaire du « Président ». Comme je représentais, lors de la présentation de la maquette – et du projet de cet édifice – la commission des sites du Doubs ainsi que les Syndicats d’Initiative, je suis bien placé pour vous dire ce que je sais, et ce que je sais ne correspond pas à la version invoquée par M. le Maire de Besançon. Je pense qu’il aura été mal informé.
Siégeaient à cette très importante réunion, M. Mellicourt, architecte en chef des monuments historiques en qualité de représentant du ministère des Affaires culturelles ; le représentant de la ville de Besançon (en l’occurrence un adjoint au maire) ; le représentant du préfet et tous les chefs de service administratif concerné, ceci pour la partie officielle. En outre, six architectes bisontins étaient présents également, mais en qualité d’observateurs.
Le projet fut présenté par M. Mellicourt, est vivement poussé en avant par celui-ci, ce qui veut dire que le ministre était d’accord.
Lorsque le représentant du préfet me donna la parole, je m’opposai vivement à ce projet, celui-ci étant à mon avis dûment officiel, de nature à abîmer au moins à dénaturer le site de Battant, par ailleurs destiné à une vaste opération de restauration. Le représentant de la ville m’interrompit violemment en disant : « d’où sort-il, celui-là, pour vouloir encore des maisons avec des toits ? » et d’autres commentaires de ce genre.
J’ai argumenté, auprès des architectes constructeurs qu’ils auraient intérêt à aller voir à Gien comment on peut construire un immeuble intégré dans un ensemble existant. Bref, finalement, le projet fut repoussé.
Si, comme je l’ai demandé souvent en commission des sites, les journalistes avaient été invités à suivre les débats, votre article n’aurait pas pu être rédigé. L’information aurait été immédiate et sans doute plus efficace que mon opposition.
Hors séance, les architectes bisontins qui n’avaient pas voix au chapitre vinrent me remercier. Depuis, beaucoup de choses ont changé : je ne fais plus partie de la commission des sites ( j’en ai été avisé voici 15 jours) et le projet est quand même passé, j’ignore comment.
Je tenais beaucoup à faire cette mise au point, car j’ai été le seul à m’opposer, arguments à l’appui, à ce projet. Tous les gens présents à cette réunion peuvent témoigner de ce que je viens de vous écrire… »
Hélas, j’ai bien peur que ce nouvel élément d’information dans l’affaire n’en apporte d’autres, venant d’autres sources, je crains que, tel l’apprenti sorcier, je ne me trouve submergé sous le flot que j’ai ouvert. Je crois que je vais acheter un gilet de sauvetage ».
BARBIZIER
Cette polémique inquiète le Maire de Besançon. Il écrit même à l’un de ses amis, sur son lieu de vacances sur la Côte, afin qu’il puisse lui rapporter les propos tenus lors de cette commission des sites. Malheureusement, dans sa réponse manuscrite, il indique n’avoir guère de souvenirs. Puis, le Maire essaie d’obtenir la délibération de la Commission des abords des Monuments historiques (les remparts Vauban sont déjà classés comme monument historique). Mais il essuie un refus de la part du ministère des affaires culturelles sollicité via le Préfet du Doubs.
L’éphémère hebdomadaire « Le Télégramme de Besançon » publie, le 15 août 1970, sous la signature du journaliste Bernard Cartron qui s’interroge : « …Est-il possible aujourd’hui de faire quoi que ce soit, sans mécontenter quelqu’un ? ».Vous l’aurez compris, ce journaliste défend ce projet comme s’il avait trempé sa plume dans l’encrier de la marie voire de la SMCI !
Mais il reconnaît cependant : « Il est vrai que le Président gâte la vue de la vieille ville pour qui descend de la gare par l’avenue Foch. Mais qui descend par cette avenue ? Les automobilistes puisque les piétons prennent la promenade des Glacis. » Et déroulant son argumentation, il ajoute d’une façon péremptoire (et cela s’avère faux !) : « Personne n’a mis en cause le principe même de cette construction. En tout état de cause, qui est responsable ? La commission des sites, réunie plusieurs fois, composée de gens qui par leur profession sont des experts dans ce domaine…
… Qu’ont-ils dit ? Ils ont suggéré des modifications qui ont été faites. ».
Parmi les modifications, effectivement, nous avons pu relever l’inversion de la partie la plus haute (12 étages) à l’origine prévue côté avenue Denfert Rochereau vers la rue Isenbart. Et la suppression d’un 13° étage alors projeté.
L’immeuble terminé, les appartements occupés, la polémique cesse.
Ajoutons tout de même qu’il y avait un projet, dans ce vallon de la Mouillère, développé par ANIBAT avec : « … un vaste parking, des commerces, des bureaux ». La municipalité avait encouragé le rapprochement avec la SMCI. Autre projet, celui d’une maison de la culture. Le ministère des affaires culturelles ne manque pas d’interroger la ville sur l’abandon ou non de ce projet qui devrait se faire indique la municipalité….
Aujourd’hui, une grande majorité de bisontins, semble-t-il, considèrent que cet immeuble s’inscrit parfaitement dans le paysage ! Ce qui ne sera pas toujours le cas de réalisations ultérieures ! Alors, visionnaire le journaliste du Télégramme de Besançon qui terminait son article ainsi : « Peut-être fera-t-on visiter le Président dans deux siècles avec guide »…..
Sources :M. René Chevillard, M. Christian Mourey, archives municipales. Photos A. Prêtre.