Quand le monument Pergaud faillit disparaître du parc Micaud : 2° article
Nous sommes donc en 1941. La loi de Vichy du 11 octobre 1941, ( voir à ce sujet l’article consacré à Flore, le 17 décembre 2016, sur ce site web), destinée à récupérer, pour le compte de l’occupant allemand, des métaux non ferreux, va être appliquée avec rigueur.
Pourtant, le 7 novembre 1941 la commission départementale est réunie à Besançon afin d’étudier les monuments, érigés dans des espaces publics, qui doivent être envoyés à la (re)fonte ou, tout au contraire être conservés. Est inscrit comme devant échapper aux fondeurs, le monument Pergaud ( avec, entre autres Flore)!
Mais, assez brutalement, fin décembre 1941, Pergaud est retiré du parc Micaud (comme 9 autres bustes, statues ou monuments, sans oublier Flore).
Nous retrouvons rapidement sa trace, début 1942 sur les chantiers Pateu de la rue de la Mouillère. On l’aperçoit, durant cet hiver, sur une photo retrouvée aux archives municipales. Il est, a priori, en bonne compagnie, avec Proudhon et Jouffroy d’Abbans.
Et lors du conseil municipal du 23 janvier 1942, le maire Henri Bugnet annonce: « Pergaud qui est encore sur le chantier de la Maison Pateu va nous être rendu » .
Cette annonce provoque, dès le 15 février 1942, l’indignation du journal vichyste de la collaboration, Le Franciste » qui indique sous le titre « Un cadeau inopportun »:
« Il est probable que l’Administration a reconnu au monument une valeur particulière pour le soustraire ainsi à la refonte; dans ce cas, il convient de révéler en quoi réside cette valeur.
Le « monument Pergaud » est un monument d’inspiration maçonnique.
Les côtés s’ornent de nombreux triangles et signes indéchiffrables aux profanes, ainsi qu’un hexagramme dit « sceau de Salomon ».
Quant au style du monument, les artistes sincères s’accordent pour reconnaître que c’est une véritable horreur.
Il faut que l’on sache aujourd’hui qu’il n’y a pas de place dans la France nouvelle pour des monuments de cette sorte. La remise en place par la municipalité de Besançon de cet échantillon de propagande maçonnique équivaudrait à une provocation intolérable, véritable insulte à l’esprit de révolution.
La franc-maçonnerie juive ne souillera plus les monuments de France de ces signes symboliques ».
Le Préfet du Doubs qui a pris connaissance de cet article s’alarme quelques jours plus tard (le 24 février) et demande au maire de Besançon des explications. Celui-ci, en l’absence des Conservateurs de la ville, se tourne alors vers une spécialiste qu’il a sous la main, en l’occurrence une professeur de l’école municipale des Beaux Arts, bibliothécaire adjointe. Elle lui fournit un rapport que le maire, très prudemment, cite entre guillemets dans sa réponse au Préfet dès le 10 mars 1942 (comme s’il voulait se démarquer, disant en substance, voici ce que ma spécialiste m’a écrit…).
« Cette œuvre au point de vue artistique est de médiocre valeur, son seul intérêt provient de ce qu’elle est signée BOURDELLE. Or, dans une conversation que M. A. –(le nom est cité en toutes lettres, mais nous avons choisi, malgré le temps écoulé depuis 1942…de ne pas le rapporter, les héritiers éventuels qui demeureraient, aujourd’hui encore, à Besançon, n’étant pas responsables des positions de leurs aïeux sous l’occupation)-ancien conservateur adjoint du musée, avait eue, à Paris, en janvier 1942, et dont il m’avait fait part, madame BOURDELLE lui avait appris que le bronze de Pergaud était une œuvre posthume, exécutée d’après une toute petite maquette en terre cuite, et très mal interprétée. Elle voyait sans déplaisir le remplacement de ce bronze par une statue de pierre réalisée avec art et traduisant mieux l’idée créatrice de Bourdelle (à noter que la loi du 11 janvier 1941 offrait cette possibilité, la réplique ou copie en pierre étant financée par le prix du bronze récupéré soit, alors, 30 F le kilo).
Si j’ai bonne mémoire, Bourdelle accompagnait toujours sa signature d’un signe maçonnique. Mais il est certain que le dos de la statue Pergaud est couvert d’un nombre beaucoup plus grand d’inscriptions de ce genre.
Je crois qu’il sera utile d’en référer aux Musées Nationaux ou à l’administration des Beaux Arts et je peux écrire à M. Hautecoeur à ce sujet ».
Donc, pour nous résumer, deux accusations graves, certes de nature différente, sont portées contre Bourdelle et Pergaud: le monument Pergaud est moche, la veuve même de son auteur l’a dit!
Bourdelle a parsemé (signé) ce monument de symboles maçonniques et il est franc-maçon. Ce qui, à ce moment là de l’Histoire où ces lignes sont écrites, est relativement grave de conséquences.
Nous reprendrons la suite de ce feuilleton lors du prochain billet publié samedi 21 janvier 2017 : nous verrons ce que disait Bourdelle de son travail; nous prendrons connaissance de la position de madame Bourdelle et de sa fille; nous constaterons que Pergaud et Bourdelle n’étaient pas franc-maçons et expliquerons les symboles qui figurent sur ce monument.
Et nous saurons, enfin, comment ce monument, après plusieurs rebondissements, nous est parvenu tel qu’on peut le voir, encore aujourd’hui, dans le parc Micaud.
Sources : archives municipales ville de Besançon.