L’histoire de l’orfèvre helvétique né aux Chaprais

L’histoire de l’orfèvre helvétique né aux Chaprais

Les Chaprais et le ballon rond


Après une période d’absence et à l’occasion de la coupe d’Europe de football, nous inaugurons une nouvelle série consacrée au football aux Chaprais.
Le ballon rond dépasse très souvent le cadre sportif, derrière les matchs, il y a des histoires d’hommes ou de groupes d’individus qui frôlent l’Histoire. Les Chaprais n’échappent pas à la règle. Par quelques articles, nous montrerons le destin de Chapraisiens, qui par leurs rôles ont marqué, pour certains la vie du quartier, quand ce n’est pas celle d’un pays.


1. Norbert Eschmann, l’orfèvre helvétique.
Le dramaturge autrichien Thomas Bernhard a écrit dans son ouvrage « L’origine » que « Le sport amuse les masses, leur bouffe l’esprit et les abêtit. ». Pourtant des sportifs amènent à la réflexion, estampille leurs interventions d’analyses pertinentes. Le suisse Norbert Eschmann était de cela. Footballeur international reconverti comme rédacteur sportif, il a mis son intelligence tout d’abord au service de ses coéquipiers puis de ses lecteurs. Très connu en Suisse romande, Eschmann est quasiment anonyme en France, pays pourtant dont il est originaire.

Norbert naît le 19 septembre 1933 à Besançon. Il est cependant déclaré le 21, deux jours plus tard si l’on en croit la publication de sa naissance dans le quotidien Le Petit Comtois indique sa naissance le 21. Il est le fils de Louis Ephrem, horloger suisse et de Rose Josette Girardet.
rues de Belfort et Industrie en 1900
Vue de l’immeuble où est né Norbert Eschmann. (à l’angle de la rue de Belfort et de l’Industrie)

La famille Eschmann est originaire des montagnes du Jura, Louis Ephrem est né aux Genevez en 1910. Cette commune est aujourd’hui située à la lisière des cantons du Jura et de Berne. Une partie de la famille Eschmann notamment par la grand-mère paternelle, Irène Maillard, semble avoir longtemps vécu dans la région, des Maillard étant présent depuis l’époque moderne.

Quelle raison a poussé les Eschmann à migrer en France ?

Dans un sujet pour le musée de l’immigration, l’historienne Anne Rothenbühler explique « Loin des images populaires actuelles la Suisse, au XIXe siècle, connaît un fort accroissement démographique et une paupérisation importante.»
L’immigration des Suisses en France | Musée national de l’histoire de l’immigration (histoire-immigration.fr)
Les montagnes jurassiennes abritent jusqu’au milieu du XXème siècle des activités horlogères mais la pression démographique oblige une partie de la population à gagner la Franche-Comté toute proche qui rappelons est à cette époque le lieu de prédilection de l’industrie des montres françaises. Les nouveaux arrivants, souvent francophones, peuvent alors plus facilement trouver un emploi.
Par sa mère, Norbert Eschmann a des origines dans le Haut-Doubs, sa mère étant originaire de Morteau. Il est possible de penser comme pour d’autres unions franco-suisses que les parents de Norbert se soient rencontrés sur la route migratoire de la famille Eschmann. La deuxième hypothèse est une rencontre du couple à Besançon.
Comme un symbole, les jours suivants la naissance de Norbert, un match amical est organisé à Besançon entre une équipe suisse et une équipe française. Ce match oppose la Bousbotte, association sportive de Battant, toujours existante, aux Old Boys de Basel longtemps en première division suisse. L’attrait du jeune homme pour le ballon rond n’est peut-être pas un hasard, on retrouve dans un média comtois des années 1910, la trace d’un Eschmann dans le ballon-rond en tant qu’arbitre de rencontres.
Un Eschmann arbitre St Ferjeux
Au moins deux familles Eschmann sont signalés à Besançon dans les années 1910 à 1930.

La date de départ de la famille Eschmann pour la Suisse est incertaine. Le départ de la famille se réalise autour des difficultés socio-économiques et identitaires de l’époque.
En Suisse, Norbert intègre dès son plus jeune âge un club sportif. Les premières traces du jeune Eschmann sur les terrains remontent à août 1949, où il intègre la petite équipe du Stade de Lausanne gagnant un temps de jeu important. Il n’a que seize ans, un âge très précoce. Auparavant, il a été formé au Lausanne Sport, le grand club de la capitale du canton de Vaud. Ce dernier club a prêté ce joueur à un autre club de la ville, le Stade de Lausanne. En d’autres termes, Eschmann était « salarié » du Lausanne Sport mais son club lui a permis de joueur pendant deux ans avec un autre club.
Le football comprend trois principales lignes, la défense, le milieu de terrain et l’attaque. Eschmann devient pour sa part milieu offensif, c’est-à-dire qu’il est un milieu de terrain qui aide l’attaque, qui anime les offensives. Il évolue parfois aussi en début de carrière comme attaquant toujours sur l’aile droite.


Naissance d’une légende helvète


Eschmann devient très rapidement un élément important de son équipe comme l’atteste un article de la Gazette de Lausanne en date du 4 septembre 1950 qui évoque la défaite du club vaudois dont l’absence « semble avoir porté un rude coup. ». En septembre 1951, Eschmann tout juste majeur intègre en tant que professionnel le Lausanne Sport qui repart sur une nouvelle dynamique après le départ de plusieurs joueurs. Dès cette première saison, il s’illustre dans une équipe qui ne joue plus les premiers plans. Il marque plusieurs buts important. Son équipe finit neuvième sur quatorze. Pour cette première saison professionnelle, Norbert côtoie notamment Henri Chapuisat qui est à l’origine d’une dynastie de footballeurs très connue en Suisse. Le jeune footballeur connaît également une certaine reconnaissance car il est sélectionné en équipe de suisse espoir dès le printemps 1951. L’un de ses premiers matchs a lieu en juin où il affronte… la France.
Au début des années cinquante, les footballeurs ne gagnent pas de salaire astronomique même si certains à l’époque pensaient le contraire. Le mythique footballeur français Raymond Kopa racontait dans ses années rémoises que des gens criaient qu’il gagnait trop d’argent et qu’il devait retourner jouer à la mine. Pour les footballeurs évoluant en Suisse, la situation était pire encore car très peu étaient professionnels. Dès les années 1930, plusieurs citoyens helvètes ou rauraques s’exportent au FC Sochaux, premier club professionnel de France. Cela signifie que le club comtois a été le premier à payer ses joueurs pour leur permettre de n’être que footballeur.
Face à cette insécurité financière, Norbert Eschmann mène de front sa jeune carrière de footballeur et une formation en joaillerie qu’il termine en 1954. Cette même année, il fait partie de l’équipe de Suisse qui participe à la coupe du monde organisé en terre helvétique. Eschmann ne participe cependant pas sur le terrain à l’épopée de la « Nati » qui voit cette sélection arrêtée en quart de finale, éliminée sept buts à cinq contre l’Autriche.
Foot Eschmann en 1962
Eschmann pendant le match Suisse-Angleterre en 1962 (photo issu du site OM4Ever)
Cette même année, il termine son premier passage à Lausanne, son talent va aller s’exercer dans sa patrie de naissance. Il est conseillé pour cela par un ancien international suisse, Frank Séchehaye reconverti en entraîneur. C’est aussi un grand saut pour le football suisse. A cette époque, la plupart des « professionnels » qui évoluent dans le championnat suisse de football sont plus des semi-amateurs, c’est-à-dire qu’ils complètent leur activité de footballeur dans d’autres métiers. Intégrer un club français permet au bisontin de devenir un des premiers internationaux suisses d’après-guerre à devenir réellement professionnel.

Au Red Star de Paris, Eschmann va briller de mille feux inscrivant la bagatelle de douze buts. Son efficacité offensive va permettre aux Parisiens d’accéder à la première division. Eschmann retourne le temps d’un match dans sa ville natale où son équipe écrase les bisontins six buts à zéro. Son avenir dans le club francilien semble tout tracé quand une sombre affaire stoppe tout. L’entraîneur du Red Star, Charles Nicolas est mêlé à une affaire de matchs truqués en lien avec la montée. Le club est alors sanctionné, laissant sur le carreau l’ensemble de ses salariés dont Norbert Eschmann.

Ce dernier rebondit vite, il revient alors au Lausanne Sport en juillet 1955.
Eschmann à Lausanne
Article de la Gazette de Lausanne du 27 juillet 1955 (source : archives du Temps).
Pendant deux ans, Norbert est un atout offensif pour le club lémanique en inscrivant au moins une quinzaine de buts. Le 15 septembre 1956, dans son jardin où il évolue avec le Lausanne Sport, les joueurs présents se mettent à entonner « Sur nos monts, quand le soleil, annonce un brillant réveil ». Le natif des Chaprais connaît sa première sélection avec l’équipe nationale suisse, la « Nati » face aux Pays-Bas.
A l’été 1957, Eschmann quitte Lausanne pour rejoindre le rival genevois. Durant cette saison, il marque vingt-deux buts en coupe d’Europe et en championnat, réalisant l’une de ses meilleures saisons. Ce bon niveau de jeu, que certains observateurs notamment à Genève jugent pourtant irrégulier, lui permet de devenir en cette année 1958 l’un des meilleurs attaquants suisses et d’être rappelé pour une série de plusieurs matchs internationaux dont le premier est contre la France.

Un long retour en France ?

C’est d’ailleurs dans son pays natal qu’il retourne jouer à l’été 1958. Après avoir fait l’objet de la convoitise d’un club parisien, le Racing de Paris, Eschmann signe dans le mythique club français de l’Olympique de Marseille rejoignant au passage son ancien entraîneur du Lausanne Sport, Louis Maurer.


« Il voyait la vie comme il voyait le jeu » Philippe Dubath

En tant que joueur de Marseille, le franco-suisse va jouer deux saisons dans le club phocéen malgré une blessure à son arrivée. Sans marquer le club, il laisse un souvenir d’un joueur apprécié des supporters. Son engagement n’empêche pas Marseille de descendre en deuxième division, ce qui n’était jamais encore arrivé dans l’histoire de l’OM à ce moment.
Eschmann à l'OM
Eschmann à l’OM saison 1958-1959 (photo issue du site OM4EVER)
La période n’est pas joyeuse également sur le plan familial, le père de Norbert est victime d’un sévère accident de la route comme le relate le journal la Gruyère  dans un article qui ne précise pas la filiation du blessé avec le footballeur suisse. Durant la saison 1959-1960, le footballeur suisse revient le temps d’un match à Besançon où il remporte le match avec l’OM.
En 1960, Eschmann rejoint un nouveau club parisien, le Stade Français. A vingt-sept ans, le suisse atteint l’apogée de sa carrière. En trois saisons, il inscrit au moins quarante-deux buts notamment grâce à son duo avec le hollandais Petrus Van Rhyn en 1960-1961. Cette arrivée au club francilien est aussi le moment où le nom de Norbert est associé à l’autre suisse du Stade Français, le talentueux Philippe Pottier. A partir de ce moment, ces deux-là vont entretenir une grande amitié comme le bisontin le fera avec tant d’autres. Le footballeur était un grand personnage, entier qui vivait ces amitiés, « Il voyait la vie comme il voyait le jeu » rapporte Philippe Dubath, actuellement chroniqueur au journal de Morges et ami proche d’Eschmann pendant plus de trois décennies.

En 1961, Norbert Eschmann et d’autres footballeurs se réunissent pour créer une association représentant les footballeurs professionnels. Ce sera la naissance de l’union nationale des footballeurs professionnels, l’UNFP. Cette participation même mineure montre la dimension sociale du football qui est chère à Eschmann. En parallèle, il intègre plus régulièrement l’équipe nationale de Suisse.
Il est donc logiquement appelé pour la coupe du monde de 1962 au Chili. Le bilan de la « Nati » est hélais catastrophique : trois défaites en trois matchs. Pour le bisontin de naissance, le mondial est encore plus difficile, il est victime d’un « attentat », c’est-à-dire d’une action très violente, par un joueur allemand. Eschmann doit sortir sur blessure. Il raconte à la télévision romande cet événement lors de sa convalescence.

Foot – Norbert Eschmann – Play RTS
Retour en terre vaudoise
En avril 1963, les rumeurs de son retour en Suisse se multiplient, il va même participer à la naissance de ces infos en déclarant son envie de revenir sur les bords du lac Léman. La nouvelle devient cependant réelle à partir de juillet 1963, Eschmann revient à Lausanne. A son retour en Suisse, Norbert s’installe dans sa résidence à Morges où en parallèle de son activité de footballeur, il est bijoutier et restaurateur.
Eschmann à Lausanne
Article de la Gazette de Lausanne du 16 juillet 1963 (sources : Archives du Temps.ch)
Le retour à Lausanne dure deux ans auréolé d’un titre de champion de Suisse en 1965 et de plusieurs matchs d’anthologie en coupe d’Europe. Cette même année, Eschmann déclare dans une interview pour le Journal et feuille du Valais son amour du foot « Je crois le football, je ne vois pas ce que j’aurais pu faire autrement […] J’ai toujours fait cela depuis tout gosse, je n’envisage pas autre chose ». Durant l’été 1965, Eschmann remonte le Rhône pour jouer pendant une saison à Sion. Un an auparavant, il a connu ses dernières sélections en équipe nationale. Il aura connu quinze caps sous les couleurs suisses. Désormais trentenaire, Norbert reste toujours aussi efficace devant le but comme en atteste les multiples articles dans la presse lausannoise puis de Sion.

La saison 1965-1966 est cependant compliquée pour le lausannois entre suspension pour non-participation au match de l’équipe de Suisse et blessure, la saison d’Eschmann est tronquée. Il s’engage alors à la fin de 1967 aux Young Boys de Berne où il ne joue que six matchs. Il ne peut véritablement marquer de son influence cette équipe. Le désir du bisontin de naissance devient alors de mettre son expérience au service d’une équipe en devenant entraîneur. Son rêve se réalise en signant à ce poste à Toulon. Mais bientôt l’expérience tourne court. Etre entraîneur nécessite des diplômes spécifiques et Eschmann n’a pas d’équivalence en France.
Il réalise alors un dernier engagement pendant deux saisons dans le club tessinois de Locarno, nous sommes en 1969. Il peut cependant également rester parfois joueur. Ce statut d’entraineur-joueur se poursuit en 1971 au FC Martigny en deuxième division suisse pendant quelques mois. A cette époque, le lausannois développe sa vision d’un jeu en mouvement et épuré.
Cette fin de carrière semble, à en croire la presse de l’époque, faite de prestations irrégulières. Le Journal de Genève évoque dans ses pages sport du 21 février 1966 un « Eschmann à qui manque la vue d’ensemble ». En parallèle, Eschmann commence également à des matchs de vétérans comme en janvier 1967 où il participe à une rencontre avec des anciens du Lausanne Sport.
A la suite de cet échec comme entraîneur, Norbert va entamer sa deuxième carrière, celle de journaliste sportif.


Des vestiaires à la rédac : Un géant du journalisme sportif romand


Résumons donc, Norbert Eschmann, international footballeur qui a porté haut les couleurs suisses prend sa retraite sportive en 1971. Il a traversé de grands clubs francophones comme l’Olympique de Marseille et le Lausanne Sport.
Une émission programmée le 17 juin 1971 évoque un débat qui secoue le football suisse tel que le résume le journal fribourgeois le Nouvelliste  paru le 16 juin :
«  C’est l’évidence, derrière le football se meurt, dans la mesure où il attire de moins en moins de téléspectateurs. Le désintéressement de ces derniers a pour effet de vider les caisses des clubs, dont beaucoup ne doivent que leur survie a un ou deux mécènes. Cette situation est encore aggravée par les exigences financières des joueurs et les sommes fabuleuses que peut connaître le marché des transferts ».
Derrière ce débat qui semble largement d’actualité en France en 2021, un des intervenants présents est Norbert Eschmann, « journaliste au 24 heures-feuilles d’avis ». Comment donc le footballeur est-il devenu journaliste ?
A cette question, il y a tout sauf un hasard. Dès 1967, Norbert Eschmann publie une tribune au sein d’un magazine sportif, le Miroir du football. Ce mensuel est fondé par François Thiebaud, ami du footballeur suisse, en 1958, en supplément de l’hebdomadaire Miroir-Sprint. Thiebaud fit tourner ce magazine pendant près de vingt ans avec une vision assez différenciée du reste de la presse sportive. La raison d’être de ce média est de prôner l’amélioration du statut des professionnels du football, le développement du beau jeu, la lutte contre le foot-business. Il est également un des premiers magazines sportifs à s’intéresser au lien du football avec l’économie et la société comme le rappelle le site internet consacré à cette pépite de la presse sportive (AMFT Le Miroir du football est né en 1960, de la volonté de François Thébaud).
Eschmann etJust Fontaine
Extrait de la tribune publiée par Norbert Eschmann dans le Miroir du football, en 1967 lors de la nomination de Just Fontaine comme sélectionneur de l’équipe de France (source : association des amis de François Thiebaud).
En participant à la rédaction de ce mensuel, Eschmann forge ses premières armes dans le monde de la presse. Après avoir été un formidable joueur capable de poser et de lire le jeu, il devient un fin analyste du foot. Philippe Dubath, ami de Norbert rappelle qu’il avait un «  rapport à l’humain, il avait un descriptif des gens très fins ». Sa carrière de journaliste prend un essor décisif en 1971. Après avoir été entraîneur de Martigny, il entre à la rédaction du journal vaudois « 24 heures » au service des sports.
Eschmann journaliste sportif
Eschmann à la rédaction de Miroir du football (photo association amis de François Thiebaud).


« Le football suisse, […], vit les heures de l’inflation de la sottise et des coups bas tout azimut ». Norbert Eschmann, 1989


Son travail est rapidement apprécié de la direction, de ses collègues. L’homme l’est également. D’abord stagiaire, il devient rapidement membre à part de la rédaction. Puis tout naturellement, il devient chef de la rubrique du service sport au bout de quelques années. Autour de lui, il sera entouré par une équipe de quelques jeunes journalistes qui deviendront ses amis comme Philippe Dubath ou encore Paul Kartsonis. Interrogé sur ce sujet, le premier évoque « un climat d’amitié » tandis que le second se rappelle d’Eschmann comme d’un « conteur » avec un « charme naturel ». Cette équipe de journalistes bénéficie d’une large autonomie dans son action, le choix des sujets.
De la même manière qu’il était un joueur entier, il sera un journaliste entier, avec ses coups de cœur, ses combats, des prises de position parfois tranchantes. En 1987, la « Nati » réalise un match nul contre l’Autriche, Eschmann écrit en s’adressant directement au sélectionneur de l’époque « Excusez-nous, Daniel Jeandupeux [sélectionneur] mais Andy Egli [qui joue souvent défenseur] en centre avant, c’est…. Faire n’importe quoi ! ». Ces prises de position qui semblent banales en 2021 de la bouche de chroniqueurs sportifs sont pourtant encore assez rares à cette époque. Certaines de ces interventions acerbes s’appuient sur un très grand style littéraire, une plume très fine avec un ton très contemporain.
En cette fin des années 80, la sélection nationale suisse traverse une période difficile sur le plan sportif et institutionnel. Le 8 mai 1989, Daniel Jeandupeux est remercié de son poste de sélectionneur. Dans cette décision, le président de la ligue des clubs professionnels de football de Suisse, Freddy Rumo a joué un rôle. Face à ce constat, le lausannois écrit « Le football suisse, guidé par l’histrion Rumo, vit les heures de l’inflation de la sottise et des coups bas tout azimut. Joli sport ». Rappelons qu’un « histrion » est un mauvais comédien. En ce sens, l’antagonisme avec Rumo n’est cependant daté de 1989. Cinq ans auparavant, un échange difficile a déjà eu lieu entre ces derniers et d’autres protagonistes sur un plateau de télévision.

Norbert est un homme présent dans tous les médias, il évolue régulièrement à la télévision romande où avec son collègue Jean-Jacques Tillman, il est régulièrement invité voire parfois un quasi permanent comme à l’émission « Table ouverte » où il fait partie des réguliers quant le sujet d’actualité est le football suisse. Là ses prises de position lui valent parfois d’avoir des tribunes d’autres journalistes de presse écrite le lendemain de ses interventions.
Tillman, Eschmann et leurs confrères Raymond Pittet et Jacques Ducret sont parmi les figures dominantes du journalisme sportif de la Suisse francophone dans les années 70 et 80. Leurs poids leur vaut d’ailleurs d’être appelés par certains notamment le journaliste du Temps Laurent Favre comme « Le carré magique de la presse sportive romande ». Dans un article très intéressant paru en ligne le 3 janvier 2021, Favre décortique cette présence des quatre journalistes dans les médias francophones helvètes et comme il le rappelle « Les signatures de Ducret, Eschmann, Tillman et Pittet dans la presse romande demeurent aujourd’hui encore des références pour quantité de lecteurs, journalistes, amateurs de football et sportifs ».
Fidèle en amitié, Eschmann n’hésite pas à renvoyer l’ascenseur à ses amis qui l’ont aidé comme François Thiebaud. Quand ce dernier quitte Miroir du football en 1976, Eschmann est là. L’ancien footballeur recommande alors son ami pour intégrer la rédaction de la Tribune de Genève. Pendant deux ans, le journaliste français assure un travail au sein du média suisse.
Eschmann et Thiebaud
Eschmann et François Thiebaud (association des amis de François Thiebaud)

Eschmann prend sa retraite en 1998 après vingt sept ans de carrière dans la presse et près de cinquante ans après ses débuts au Stade de Lausanne. Il poursuit à cette période ses nombreuses venues en France, notamment en Bretagne où il a ses habitudes et ses amis comme Christian Gourcuff, l’ancien entraîneur de Rennes et de Lorient.
Retiré des terrains, il commente encore l’actualité de l’Euro 2008, il s’insurge contre la déchéance du Lausanne Sport qui ne cesse depuis lors de virevolter entre la première et la deuxième division suisse. Surtout cet amoureux du foot, va continuer à jouer, entraîner jusqu’à dans les dernières années de sa vie dans les cinq premières divisions suisses. Imaginez si un Raymond Kopa devenu un grand journaliste sportif en avait fait de même en France. Vous comprendriez l’impact du suisse dans son pays.
Eschmann fonde, notamment avec Paul Kartsonis, le Lausanne Universitaire Club pendant sa carrière de journaliste. Ce club de foot, dont les installations sont au bord du lac Léman, est considéré par certains comme M.Kartsonis comme un « paradis ». Comme son nom l’indique, il est ouvert aux étudiants mais pas seulement, le club ira jusqu’en deuxième division suisse avec un fonctionnement assez unique dans le paysage footballistique. En effet, les dirigeants du club changeaient à l’époque d’Eschmann tous les six mois car il reposait sur une idée collective, une vision partagée du football.

Norbert Eschmann s’éteint le 13 mai 2009, un an avant que son club de cœur de Lausanne ne remonte en première division et ne soit finaliste de la coupe de Suisse.
Légende footballistique, journalistique de la Suisse romande, Norbert Eschmann est quasiment inconnu dans sa ville de naissance. Il est pourtant un des représentants des Suisses de Besançon les plus connus de son temps au même titre qu’un Laurent Mégevand.

Un remerciement à la rédaction de 24 heures, la mairie de Besançon, le club des Young Boys de Berne, le site « Om4ever », l’association des amis de François Thiebaud, le site des archives du Temps.ch, Philippe Dubath et Paul Kartsonis qui ont apporté leur concours à la réalisation de cet article.
Les photos en provenance des archives du Temps, de Miroir du football ont été publiées, avec l’aimable autorisation de ces médias.


Résumé en allemand :

Norbert Eschmann, Fußballer und Journalist, hat den Schweizer Sport geprägt. 1933 im Stadtteil Chaprais in Besançon geboren, emigrierte Eschmann mit seiner Familie in die Schweiz, das Heimatland seines Vaters. Er begann seine Karriere als Fußballer im Jahr 1949.
Er spielte für Lausanne Sport, Olympique de Marseille und die Young Boys aus Bern. Gleichzeitig machte er auch eine Karriere als Juwelier. Außerdem wurde er fünfzehn Mal für die Schweizer Nationalmannschaft ausgewählt.
Nach seinem Rücktritt vom Sport wurde er ein führender Sportjournalist in der französischen Schweiz. Er starb im Jahr 2009 in Lausanne.