Villa Zeltner : La villa de l’Indochine

Villa Zeltner : La villa de l’Indochine



Quel est le point commun entre le général Héring, malheureux défenseur de Paris en 1940, une production de savons de l’ancienne Indochinoise et une villa chapraisienne d’Art Nouveau ? La famille Zeltner, industriels vosgiens, a marqué de son empreinte la villa partagée entre le 5 rue de Vittel et au 12 avenue Carnot.
Cette villa, qui a été considérée récemment par la presse locale comme la plus chère de Besançon, est célèbre au-delà des Chaprais notamment pour sa façade classée. Comment s’explique cette notoriété ? Eléments de réponse.

Villa Zeltner 2019
Construite en 1880, la villa est à l’origine la propriété d’Etienne François Lavigne, horticulteur et sa femme Joséphine Gros. La demeure, qui est bien plus modeste en taille, est référencée alors au 16, rue des Chaprais. En effet, l’avenue Carnot n’est baptisée de ce nom qu’en 1894, suite à l’assassinat du président Sadi Carnot par un anarchiste. Quant à la rue de Vittel, elle n’existe tout simplement pas. A quoi ressemble cette modeste habitation? Un élément permet de donner un aperçu comme cette carte de 1896.
plan Vittel Carnot 1896
Le bâtiment donne principalement sur la nouvelle rue de Vittel. Deux traits délimitant clairement l’accès à l’avenue Carnot finissent de montrer que la superficie des lieux est plus petite qu’aujourd’hui.
Au début du siècle suivant, les propriétaires changent. Le recensement de 1906 fait état de la présence dans la propriété de Gustave Carignan, né en 1856 dans les Ardennes. Comme beaucoup d’autres chapraisiens, Gustave est un militaire qui s’apprête à prendre sa retraite avec le grade de lieutenant en 1891 et de capitaine dans les années suivantes. Sa trace se retrouve également en 1911 dans les recensements. Il est d’ailleurs intéressant de constater que cet homme et sa femme connaissent un rajeunissement entre les recensements de 1906 et 1911 comme le montre ces deux images :
Messein 1906
Recensement de 1906
Messein 1916
Recensement de 1911
Entre ces deux recensements, Mr Messein rajeunit de près de vingt ans, tandis que sa femme ne rajeunit que de quatre ans. Est-ce de là que vient la notoriété de la villa qui cache une fontaine de jouvence administrative ? Rien n’est moins sûr.
A quelques encablures de la villa, un couple s’est installé depuis quelques années. Il est composé de Léon Zeltner (1878-1934), représentant en commerce et de sa femme Marguerite Haffner issue de la bourgeoisie vosgienne, le père de cette dernière est en effet directeur d’une fabrique de tissage. Le jeune couple est installé au 1 avenue Carnot.
Marguerite Haffner va avoir un rôle déterminant dans la villa. (pousse son mari à faire les travaux comme cela??). Pour le comprendre, il faut évoquer un autre membre de la famille Haffner, Eugène, l’oncle de Marguerite. Cet entrepreneur a fondé en Indochine une exploitation d’hévéa dans la plantation de Xa-Trach. Une lointaine héritière de cette entreprise est actuellement les Plantations des Terres Rouges, société d’investissement luxembourgeoise gérée par un célèbre homme d’affaires français. Mais là n’est pas le sujet, Eugène est tombé amoureux de son pays d’adoption au point d’épouser en 1875 une métisse indochinoise.
Dès lors, Eugène revient régulièrement en France rendre visite à sa famille, il va servir de connexion entre l’Indochine et la France. Il va notamment travailler avec le mari de sa nièce, Léon Zeltner qui est associé à des affaires en Indochine. Une preuve de ce lien est que Léon est membre dans les années 1910 d’une association de producteur de caoutchouc. L’entrepreneur enrichi et revenu vivant de la Grande guerre rejoint sa famille après le conflit. Sa femme, Marguerite et les trois enfants nés de l’union : Jeanne-Marie (1906-1974) Jean-Marie (1908-2000), Yvonne (1910-2003).

Zeltner en 1931
Comme l’atteste cet extrait du recensement de 1931 avenue Carnot
Les trois enfants grandissent dans un environnement teinté d’exotisme. Leur père achète vers 1920, la villa qui va porter le nom de la famille. La villa va être modifiée par l’entreprise Pateu et Robert qui ont construit beaucoup de bâtiments des Chaprais. L’influence grandissante de l’Indochine va se ressentir en 1929 après de nouveaux travaux, la villa va voir la création de la pergola classée et des garages attenants. Des aménagements sont également effectués pour permettre au personnel de la famille d’être logés. C’est le cas en 1936 où un certain Albert Jeantroux, chauffeur habite près de la pergola avec sa femme. L’architecte de la rénovation est Maurice Boutterin, un bisontin.
Villa Zeltner en 2014

La villa est dès lors dans sa forme actuelle. La pergola est clairement d’inspiration orientale, une allusion de l’Indochine ? Très certainement, du fait de l’histoire des Zeltner-Haffner avec la colonie. Dans les années 30, le fils du couple, Jean-Marie s’en va en Indochine perpétuer les affaires familiales. Revenu en France, Jean-Marie rejoint sa famille mais également sa belle-famille. Quelques années avant son départ, le jeune entrepreneur s’est marié avec Elisabeth Héring. Les passionnés de la Seconde guerre mondiale feront le rapprochement avec un général de 1940.
Jean-Marie est en effet le gendre du général Pierre Héring, malheureux « défenseur » de Paris en 1940 car la capitale sera déclarée ouverte mais également un des rares grands officiers de l’époque qui apporte des idées novatrices pour réformer l’armée française au même titre que le colonel De Gaulle
général Pierre Héring
Pierre Héring dirigea la région militaire de Besançon entre 1930 et 1934. C’est certainement pendant ce temps que Jean-Marie rencontre sa future femme.
Les Zeltner s’établissent après-guerre en région parisienne. La revente de la villa par la famille a été effectuée à une date inconnue.

Villa Zeltner en 2014

Malgré tout, l’originalité de la villa et plus particulièrement de sa pergola en font un monument des Chaprais au point qu’en 2016, cette partie de la propriété est inscrite au titre de monument historique.
Villa Zeltner pergola rue de Vittel