Une famille de Christine Angot
Après une carrière littéraire importante, Christine Angot se tourne vers le cinéma et réalise un très beau premier film
Christine Angot quitte le territoire de l’écriture pour le territoire du cinéma, une autre façon de regarder les événements, de se confronter à sa propre histoire faite de violences et de déni. Elle est devant un petit pavillon avec sa chef, Caroline Champetier. Elle sonne chez la femme de son père, force la porte pour entrer. C’est l’objet du film, revenir aux sources de la douleur, même si elle doit franchir violemment une porte fermée à dessein. Et c’est bien là la force du cinéma sur l’écriture : se confronter physiquement à son histoire. Être accompagnée par une caméra. Ce qui se dit ici ne peut exister que sur le territoire du documentaire. Il faut parfois tourner la caméra vers quelqu’un pour s’approcher de la vérité. La séquence tournée avec la femme de son père est édifiante : « Tu me fais de la peine « lui dit celle-ci en la regardant de haut d’un air de dire « tu es une pauvre fille ». Cette séquence donne le ton au film et Christine Angot va se saisir de la puissance du cinéma pour raconter son histoire émaillée d’images d’archives tremblantes sur son enfance, sa vie de femme, son couple.
Mais le cœur du sujet est la confrontation ; rencontrer l’épouse de son père, son ex-compagnon, sa mère, sa fille et ce qui advient désigne l’horreur du viol raconté dans chaque livre de l’écrivain. En réalisant ce film, Christine Angot quitte le territoire solitaire de l’écriture (sa parole à elle seule sur les événements) pour s’approcher du territoire réel de l’événement (la parole des proches qui savaient et ont gardé le silence). Pourquoi ?
A un moment donné, Christine Angot apparaît dans une émission avec Dechavanne où chacune de ses paroles est tournée en dérision ; elle quitte le plateau. Cette scène renvoie à l’entretien de Bernard Pivot avec Matzneff, cité dans le film « Le Consentement » à l’affiche récemment : Bernard Pivot dit à l’écrivain : « vous êtes un éducateur sexuel… » A l’exception de l’écrivaine québécoise Denise Bombardier sur le plateau personne ne s’offusque de la douleur des adolescentes prises pour cible sexuellement par l’écrivain pour ses soi-disant expériences littéraires.
Longtemps, trop longtemps par rapport à l’exploitation du corps des femmes les faits ont été exonérés : « c’est l’époque qui voulait çà. » dit-on. Ici le cinéma dénonce et n’en déplaise aux détracteurs de Christine Angot (dont j’ai fait partie lors de sa période Ruquier), « Une famille » dénonce l’inceste et le silence assourdissant qui l’entoure. La Civise (Commission Indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) vient d’être dissoute après l’éviction d’Edouard Durand alors que ce sont près de vingt-cinq mille enfants qui ont été violés et agressés sexuellement depuis janvier