Fait divers : suicide au cimetière des Chaprais

Fait divers : suicide au cimetière des Chaprais



Camille Mareschal, récit d’une tragédie et de l’évolution du droit




Le 24 octobre 1902, les lecteurs néo-zélandais du Evening Post découvrent une brève surprenante et terrible :

« M. Camille Mareschal, un célèbre banquier parisien, s’est rendu au cimetière des Chaprais et, s’asseyant sur le tombeau familial, a tiré un revolver et s’est fait sauter la cervelle. »

Derrière cette sordide affaire, la vie de Camille Mareschal, un homme d’affaires comtois. Alors que tout semblait lui réussir, son destin se termine tristement dans le cimetière chapraisien. Le drame se déroule un soir d’été, le dimanche 10 août aux alentours de 18 h30. Comment expliquer ce passage à l’acte ? La réponse dans la vie de ce personnage digne d’un roman de Zola ou Balzac.



Camille Mareschal, un banquier comtois :



Camille-Elisée Mareschal voit le jour en 1852 à Cramans. Cette commune est située entre Arc-et-Senans et Mouchard. Il est le fils de Jean-François, marchand de bois et d’Annette Rocardet, originaire du village. La famille Mareschal provient d’un village proche de Levier. Elle a connu une progressive ascension sociale. Le jeune Camille grandit dans un environnement plutôt aisé.

A une date inconnue, il s’installe à Besançon. Dotée de moyens financiers important, la famille Mareschal envoie Camille à Paris où il intègre une université de droit. C’est à ce moment qu’il effectue son service militaire. Ses talents lui permettent de devenir sous-officier dans l’administration militaire. Il est ensuite muté dans l’intendance. Selon un annuaire militaire, il termine sa carrière en tant qu’officier. Après cinq ans sous les drapeaux, Mareschal retourne suivre ses études. Dans les années suivantes, il commence à travailler dans la finance. Quelques indices nous permettent de penser que ses affaires sont prospères. Tout en demeurant à Paris, Camille achète un pied à terre dans la région. Il élit domicile à Dole au Mont-Roland. Autour de l’ancienne capitale comtoise, il acquiert plusieurs domaines. Sur ses arpents de terre, Mareschal se lance dans la viticulture. Son travail est érigé en modèle dans le Journal d’agriculture pratique de jardinage et d’économie domestique en 1896  :

« [Mareschal] a reconstitué d’importantes propriétés en vignes. Les résultats obtenus servent d’exemple aux viticulteurs de la région. »


Un heureux en affaires, malheureux ?



En plus d’être un entrepreneur à succès, Camille Mareschal semble heureux en ménage. Il se marie avec une doloise, Joséphine Berthe Thurel en 1884. De leur union naissent trois enfants. Cependant, les nuages s’amoncellent au dessus du ciel de Mareschal. Son père disparaît en 1890 à Besançon, commune où il avait élu domicile. Puis le couple entre Camille-Elysée et sa femme finit en divorce sans que l’on sache pourquoi. Les éléments devaient pourtant être suffisamment importants. La loi Naquet de 1884 a rétabli le droit de divorce, acquis révolutionnaire. Le divorce est accepté pour faute : « adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante, excès, sévices et injures graves ». La personne qui demande le divorce obtient automatiquement le droit de garde des enfants. Joséphine reste à Dole tandis que Mareschal demeure dans la capitale, habitant dans des quartiers prestigieux. C’est à ce moment que le banquier va faire évoluer le droit des enfants malgré lui.

En 1900, des poursuites sont engagées à l’égard de Camille Mareschal. Il n’a pas ramené au domicile de son ex-femme un de ses enfants. Il est condamné pour non-présentation par la cour d’assises de la Seine, puis en appel. Mécontent de la décision, l’homme d’affaires se pourvoit en cassation. La haute-cour lui donne raison en février 1902, quelques mois avant sa disparition. Quelle est la raison de ce revirement judiciaire ? La loi de l’époque ne condamne pas l’enlèvement d’enfant par un de ses parents. Le tribunal argue que le « détournement d’un enfant » ne peut faire l’objet d’ « une extension abusive » soit « pour au père, soit à la mère, qui refuse de représenter son enfant, à cause des liens étroits que la nature a créé entre eux, et qui subsistent même après la séparation de corps ou le divorce1 ».

La décision de la Cour de cassation sous-entend alors que Camille Mareschal est l’un des premiers parents condamnés par la justice pour non-présentation de son enfant. Malgré sa victoire, le banquier sombre dans la dépression. En août 1902, Camille Mareschal décide de se rendre à Besançon.


37 rue de Belfort

Il s’arrête au domicile de sa mère Annette situé au 37 rue de Belfort (l’adresse du célèbre Café du Cercle)



La famille Mareschal recensée au 37 rue de Belfort en 1901

Ensuite, muni de son revolver, il se rend au cimetière réalisant la fin tragique évoquée dans l’article néo-zélandais.

sépulture ROcardet Mareschal

Le décès de Mareschal n’est que peu ébruité par la presse locale. Le Petit Comtois évoque dans une courte brève « le suicide d’un homme » dans son édition du 11 août.


Le Petit Comtois11/8/102

L’enterrement se fait en catimini le lendemain. Un petit avis de décès évoque sa disparation toujours dans le quotidien comtois. Le suicide est encore un tabou. Quelques générations auparavant, les suicidés étaient encore pendus après leur passage à l’acte. Ce fut le cas pour l’affaire Calas dans les années 1760 à la suite de laquelle Voltaire écrivait Traité sur la tolérance.

Les liens entre les Chaprais et la famille Mareschal ne sont pas terminés pour autant. Le fils de Camille-Elysée, George s’établit en 1922 dans le quartier. N’est-il pas devenu commercial au buffet de la gare Viotte ? Il disparaît en 1969 à Besançon après avoir occupé son poste à la gare durant plusieurs années.



Sources ayant servis dans l’article mais non encore citées :
AD 39, Mémoire vive Besançon (AM),
Annuaire officiel des officiers de l’armée active, 1878
Le Progrès agricole et viticole , 1896
Le Petit Comtois 1902