Aucun ours, mais à voir actuellement au cinéma

Aucun ours, mais à voir actuellement au cinéma

Michèle Tatu rappelle qui est ce cinéaste et pourquoi ce film est à voir


« Aucun ours » du cinéaste iranien Jafar Panahia a obtenu le Prix du jury au festival de Venise. Il n’a pas pu se déplacer pour récupérer son prix.

Depuis ses débuts, le cinéaste n’a jamais cessé de montrer la douleur du peuple iranien. En 1995 le cinéaste a réalisé « Le Ballon blanc », l’histoire apparemment anodine d’une petite fille qui veut (selon une coutume iranienne) acheter un poisson rouge à la veille du nouvel an. Au cours de son périple dans la rue, le cinéaste captait déjà la société iranienne impactée par la lourdeur des traditions. Son second film montrait la vie d’une écolière refusant d’interpréter un rôle qui trahissait la représentation de son quotidien. Dans les films suivants «Le Cercle », « Hors jeu » et « Trois femmes » le cinéaste dénonçait la condition de la femme iranienne. Sans relâche. Déjouant la censure dans le magnifique « Taxi Téhéran ». Dans ce film, le réalisateur se mettait en scène comme chauffeur de taxi. Une ruse pour pouvoir filmer sans être vu : dans l’habitacle, avec une petite caméra, il accueillait des personnalités et des anonymes de Téhéran et se déplaçait dans la ville mêlant documentaire et fiction.



Jafar Panahi est interdit de filmer en Iran. Le 11 juillet 2022, il manifeste devant la prison d’Evin pour exiger la libération des artistes emprisonnés. Interpellé, arrêté, il est emprisonné pour purger une peine de six ans à laquelle il a été condamné en 2010.

Depuis octobre 2022, le pays connaît un mouvement de contestation suite à la mort de Mahsa Amini tuée par les services de police le 14 septembre.

« Aucun ours » est imprégné du climat qui précède ce soulèvement populaire. Dans un village iranien proche de la Turquie Jafar Panahi joue le rôle de Jafar Panahi cinéaste dirigeant à distance un film tourné de l’autre côté de la frontière. Il supervise de loin la mise en scène d’une histoire concernant un couple d’Iraniens : emprisonnés et torturés, cette femme et cet homme essaient d’émigrer en France.

« Aucun Ours » aborde aussi une tradition ancrée dans un village où dès sa naissance, une fille est promise à son futur époux.
Aucun ours

Hébergé par une vieille dame et un paysan, le réalisateur venu de Téhéran passe son temps devant son ordinateur. Apparemment bien accueilli, il suscite très vite la méfiance parce qu’il aurait photographié un couple illégitime. Qu’a-t-il photographié à l’instant où il a tourné son appareil vers le hors champ ? Est-ce lui qui possède les clichés sauvages de ce couple que le village entier lui réclame ? où est la réalité ?

Aucun ours

Jafar Panahi incarne l’homme derrière un écran, image contemporaine qui porte en elle la suspicion de la surveillance. Son rôle n’est pas facile. Dans cette contrée, isolée dont est originaire la famille du cinéaste, Panahi documente cette région frontalière avec la Turquie : trafic de passeurs. Police aux aguets. Traditions ancestrales. Difficultés économiques.

Composé comme une mosaïque, le film rassemble plusieurs histoires : les tensions d’une communauté humaine, le drame de l’exil, les tensions du tournage et la solitude du cinéaste. Il met en scène sa propre situation et en particulier son choix de ne pas quitter son pays même si cela dérange les dirigeants iraniens. A ce sujet, dans une séquence très émouvante, Jafar Panahi se tient près de la frontière et refuse de la franchir malgré la sollicitation de son assistant.

Récemment au Festival de Venise, alors qu’il était emprisonné Jafar Panahi a adressé un communiqué aux organisateurs de la manifestation : « Pendant que certaines se voient interdit de tourner des films, d’autres sont contraints à l’exil ou réduit à l’isolement. Et pourtant l’espoir de créer à nouveau est notre raison d’être. Peu importe où et quand et dans quelles circonstances, un cinéaste indépendant créée et pense à la création. »

Il faut voir ce film pour plusieurs raisons : c’est un grand film, l’oeuvre d’un cinéaste emprisonné parce qu’il fait le métier de cinéaste, et qu’il ose filmer ce qui se passe dans son pays. Tout simplement.

Ensuite soutenir Jafar Panahi c’est aussi une façon de soutenir le combat des femmes iraniennes dont il fut la voix depuis son premier film.

Enfin, je ne sais plus qui a dit « le cinéma ne changera pas le monde, mais les films changeront le regard de ceux qui les regardent ». Et nous spectateurs avons besoin de savoir.

Dernier argument : nous apprenons ce jour que la police morale iranienne a été abolie : la police des mœurs, connue sous le nom de Gasht-e Ershad (patrouilles d’orientation), a été créée sous le président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, pour « répandre la culture de la décence et du hijad ».
C’est un acquis grâce à la lutte des femmes. Restons prudents, car rien n’a encore bougé par rapport au port du voile.

Aucun ours n’attaquera les habitants d’Iran. Mais il existe d’autres plantigrades qui étouffent iraniennes et iraniens.

Michèle Tatu

Aucun ours
le film est à l’affiche actuellement

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