Sinistre à la gare Viotte

Sinistre à la gare Viotte

Un fait divers dramatique raconté par Christian Mourey : explosion à la gare Viotte

Il est 23 heures lorsqu’une sèche déflagration vient troubler la douce sérénité de cette soirée bisontine de ce début d’août 1919. Bientôt le ciel devient rouge. Le tocsin sonne. La sirène, triste chien de la ville, hurle. Inutile de compter les aboiements pour identifier le quartier concerné. L’incendie qui alimente les lueurs visibles des quatre coins de la ville et d’au-delà est à la gare Viotte, dans un bâtiment annexe situé à quelques mètres de son extrémité Ouest. Cet entrepôt, dit « grande vitesse » accueille messageries postales et fret marchandises.


Les faits

Ce jeudi 7 août 1919, vers 22 h 30, les employés du service de nuit de la Société Paris-Lyon-Méditerranée sont affairés à décharger un wagon lorsqu’ils décèlent une odeur d’éther provenant d’une bonbonne de 65 kg. Fermeture défectueuse ? Dégâts sur le conditionnement ? Ils transportent cependant la bonbonne à l’intérieur du bâtiment. L’odeur est de plus en plus forte. Un chef d’équipe remarque un écoulement. Il se précipite pour éteindre l’éclairage au gaz. Trop tard. L’explosion est violente. Elle est suivie immédiatement d’un incendie. Le liquide projeté transforme les personnes présentes en torches humaines. 12 blessés souffrant principalement de brûlures sont transférés à l’Hôpital Saint-Jacques. Deux décèdent au cours des jours qui suivent : Félix Panier et Charles Godart


Incendie Viotte en 1919 bâtiment Grande vitesse
« La Grande Vitesse » le 8 août 1919.
Le bâtiment avait été rénové et agrandi 10 ans auparavant.


Les secours

Dès l’explosion on dépêche sur les lieux une des deux auto-pompes construites pour la Ville par les établissements Batifoulier à la Butte.
autopompe incendie Batifoulier
Et la tragédie tourne à la farce. Il n’y a pas d’eau.
Suite à une séquence météo marquée par la sécheresse, le débit des sources d’Arcier, d’Aglans et de Bregille est à la baisse. Faute de pression, l’eau ne monte plus dans les étages. La sécheresse n’est pas seule en cause. Il y a du gaspillage. Les compteurs individuels sont minoritaires parmi les abonnements. Aussi en attendant le service des eaux de la Ville organise des coupures pour reconstituer les réserves de Saint-Jean et du Fort Griffon. L’eau est coupée la nuit de 22 h à 5 h. Parfois même comme aux Chaprais, l’après-midi aussi. Les bouches d’incendie autour de la Viotte ce soir-là sont sèches. On tente des branchements sur la rue de Vesoul et la réserve de la gare rue des Cras qui fera aussi office de piscine pour la population mais les tuyaux sont trop courts. En définitive on a recours à l’eau des locomotives envoyée par la vapeur. Au bout d’une heure l’incendie arrive à son terme entrecoupé d’explosions de bidons d’essence et d’alcool. Au-delà des pertes humaines les dégâts matériels sont considérables. La caisse du trésorier-payeur installé dans les locaux est retrouvée entièrement calcinée soit 200 000 fr. Pour le reste, les pertes sont estimées à 1 million de francs. Le bâtiment sera relevé dans sa configuration originale.
Mais le sinistre va connaître un développement judiciaire. Les clients lésés attaquent la Compagnie PLM au civil qui, elle-même, se retourne contre le fabricant basé en Isère au prétexte que la bonbonne d’éther ne comportait qu’une étiquette « produit pharmaceutique ». La Chambre Civile donne raison à PLM. La Cour d’Appel de Besançon confirme le jugement le 11 juillet 1921.

Georges Pernot

La Compagnie était défendue par Maître Georges Pernot, brillant avocat né et mort à Besançon (1879-1962). Il est alors conseiller municipal et entre dans une carrière politique prometteuse. Il est député puis sénateur du Doubs de 1924 à 1959 (sauf Occupation). Ministre des Travaux Publics en 1929. Ministre de la Justice en 1934, du Blocus en 1939 et enfin Ministre de la Famille. Son titre de gloire : le Code de la Famille en 1939, réaction à une situation démographique catastrophique de la France qu’il dénonçait depuis longtemps. En 1948 il est délégué pour la France au Conseil Economique de l’ONU pour la politique familiale.
Georges Pernot
Georges Pernot est un centriste républicain inspiré par le christianisme social. Il sauve des griffes de Franco qui réclamait leur expulsion à Pétain, les ministres et les députés espagnols républicains réfugiés en France. Estimé de ses pairs au-delà des clivages politiques, il s’efface devant René Coty lors de l’élection présidentielle de 1953. Méconnu des Bisontins et ignoré de Besançon, aucun espace public ne lui a été dédié. Il retrouve le dossier « Viotte » après son passage au Ministère des Travaux Publics.

En février 1930, Georges Pernot organise une réunion à Paris avec Charles Siffert, Maire de Besançon, Julien Durand, député et les dirigeants de la Cie PLM. On se met d’accord sur un projet de 36 millions de francs dont 8,4 millions à la charge de la Ville, projet englobant la gare elle-même, ses abords et ses accès. Mais progressivement PLM se désengage et la guerre arriva… Une nuit de juillet 1943, la Royale Air Force de sa très Gracieuse Majesté prit à son compte la déconstruction de la gare d’origine

Viotte bombardée en 43
Au lendemain du bombardement aérien du 16 juillet 1943 la gare Viotte n’existe plus, mais le bâtiment de la « grande vitesse » au fond à droite est toujours là. En 1937, il avait accueilli le service de dépêches postales transféré en 1991 au centre de tri de Clémenceau.

La reconstruction


Las de cette gare née des servitudes militaires de 1850, le Conseil Municipal bisontin espère enfin un équipement digne de ce nom.
horloge florale Viotte
Carte postale colorisée : en 1954, notre bâtiment accueille l’horloge florale. Le mécanisme est de la responsabilité de la Maison ATO 13 rue de la Rotonde.


gare Viotte années 60

Le 28 septembre 1963, le maire Jean Minjoz inaugure la nouvelle gare qui succède aux affreux baraquements issus du bombardement de 1943. L’horloge florale est noyée dans la verdure. A droite, tout en longueur, le SERNAM. En bas à gauche, nos deux bâtiments réunis en un seul sur un niveau avec les matériaux et les lignes du hall de la nouvelle gare.
En bas de la rue de Vesoul, un oeil avisé discernera entre une maison à étages et un immeuble plus récent Chemin Français un cèdre centenaire qui lui aussi revient de loin

Viotte voie tram ex bâtiment gv
A gauche, l’ex « grande vitesse » tapie derrière son mur. On ne sait jamais. Le bâtiment a échappé
au grand bouleversement des lieux provoqué par l’arrivée du tram et le démantèlement du Monument aux Morts. L’horloge florale n’a pas résisté.

Il est des gens discrets. D’autres qui prennent toute la lumière et gardent le micro. Il en est de même
des immeubles. Certains sont prétentieux, voire arrogants. D’autres se font oublier. On ne les voit même plus. Et pourtant ils ont des choses à raconter. Il suffit de s’y arrêter.

Gare Viotte en bois
Un peu de chaleur humaine pour la route. La gare Viotte dans sa version maison forestière imposée
par l’Armée. La gare de la capitale de l’horlogerie, au temps où Besançon brucellait. La Viotte aux allures
de coucou suisse digne d’un puzzle 3 000 pièces. Les familles qui se retrouvent. Les landaus dans l’attente
du client. La calèche service des hôtels…


Christian Mourey. Août 2021