Qui était ce Charles Savoye à l’origine de la rue Charles Fourier ?

Qui était ce Charles Savoye à l’origine de la rue Charles Fourier ?

Un précédent article a montré que l’actuelle rue Charles Fourier avait été cédée à la ville par un propriétaire nommé Charles Savoye. On a voulu en savoir davantage sur ce personnage.

Un négociant, entrepreneur engagé dans l’horlogerie, la promotion immobilière, la presse, le cinéma, les Bains etc …

Un patronyme et un prénom assez répandu à l’époque. Des recherches généalogiques en indiquent au moins une douzaine connus au XIX°. Ils sont nés en Allemagne, en Normandie ou en Amérique. Ils ont des activités diverses. L’un d’entre eux Charles de Savoye a écrit en 1873 une compilation pour un Règlement sur le service des armées en campagne. Intéressant, mais sans rapport apparent avec Besançon. Fausse piste !

De quel Charles parle-t-on ?

Les informations sur notre homme qui vivait à Besançon dans la seconde moitié du XIX° sont rares et pour cause, il ne s’appelait pas Charles Savoye à l’origine, mais Charles Malanjoie ou Mélanjoye dit Savoye. Selon son acte de naissance, il est né durant la Révolution, l’An XI de la République, le 9 mai 1803, fils de François Louis Mélanjoye dit Savoye né au Locle ….
Acte de naissance Charles Savoye

Une famille originaire de Suisse

On trouve déjà un Charles Aimé Malanjoye dit Savoye né le 11 juillet 1775 – au Locle en Suisse Il est décédé en 1869 -à l’âge de 94 ans à New York aux Etats-Unis. C’était le fils de François-Louis Malanjoye dit Savoye 1751-1773 marié à Julie Françoise Jacot des Combes. Il aurait eu deux frères et une soeur : Charles Malanjoye dit Savoye 1773-1870,  François Louis Malanjoye dit Savoye (1774-1854) et Henriette Malanjoye dit Savoye née en 1780-

D’après le dictionnaire biographique du Doubs, Charles Eugène Savoye est né le 7 août 1826 (?) à Besançon dans une famille d’horlogers venus du Locle en Suisse au début du XIX° siécle. Cette famille Malenjoye se consacra à l’horlogerie et ils ouvriront une fabrique d’horlogerie au square Saint Amour. ils avaient reçus des médailles dès 1860. C’est par un jugement du 26 septembre 1874 que la famille Malenjoye prit le nom de Savoye.

L’architecte bisontin Edouard Vieile (1805-1876) édifia une fabrique d’horlogerie assez particulière puisque, outre les ateliers, les locaux abritaient, le directeur, les agents d’encadrement et les ouvriers qui logeaient sur place. Cette fabrique réalisait une sorte de petit phalanstère …
Charles Eugène était le fils d’Aimé Louis Savoye. Il participa à la fondation en août 1883 un quotidien Le Petit Comtois avec Jules Gros
.

Il contribua aussi à la création des Bains salins de la mouillère. Lié à Emile Schlumberger, il participa avec lui à diverses oeuvres de Besançon. Eugène Louis (1830-1901), son frère, céda du terrain à la ville. Une rue porte son nom près de la gare Viotte.
Rue Eugène Savoye  ex Zénith
L’actuelle rue Eugène Savoye et la cité administrative (ancienne usine Zénith)

La famille poursuivit son activité horlogère à Besançon.
Charles Savoye publia le 1 janvier 1893 un petit ouvrage de 32 pages édité par Millot frères intitulé Notes sur les origines de la fabrique d’horlogerie de Besançon, son état présent, chiffres officiels à l’appui, réunies sur la demande de Gustave Fernier


Charles Eugène résida au 7 square Saint Amour. Il était chevalier de la Légion d’honneur. Il est mort en 1910. Les frères Neyret furent les successeurs.

C’est également ici qu’a été créée, entre 1897 et 1904, pour un riche collectionneur portugais, la montre qui, jusqu’en 1989, resta la plus compliquée du monde. Rachetée par souscription en 1956, elle est actuellement conservée au musée du Temps.
Ce n’est pas celle-ci, signée aussi Savoye
montre Savoye

Depuis 1840, la société Savoye avait également un bureau à Paris rue de Grenelle St-Honoré et plus tard 6 boulevard de Sébastopol

Selon d’autres sources; l’entreprise Savoye Freres & Cie. a été fondée à Besançon en 1794. Charles Savoye (1793-1878) rejoint l’entreprise en tant qu’associé vers 1830.

La maison Savoye une sorte de phalanstère ?

Suite à la mise en place d’un panneau mettant en valeur ce patrimoine et présentant « la maison Savoye comme une fabrique d’horlogerie conçue comme un petit phalanstère », l’historien François Lassus, spécialiste de l’architecture horlogère et de quartier Saint Amour, a réagit vivement en écrivant :

« phalanstère : vaste organisation de production au sein de laquelle les travailleurs vivent en communauté, dans le système de Fourier. » La réalité de l’immeuble du square : dix ateliers distincts, aux fenêtres horizontales, chacun lié à l’appartement d’un patron horloger indépendant, et chacun employant cinq ou six ouvriers, dix au maximum ; et il n’y a pas un « directeur » mais autant de patrons que d’ateliers ; les ouvriers habitent Battant, ou Rivotte, et accèdent aux ateliers par des ateliers de service situés à l’arrière de l’immeuble (d’autres immeubles, certains sur le square, hébergent 4 ou 5 ateliers, souvent sur cour ou dans les étages). Le panneau indique que l’immeuble en cause abrite ateliers, patrons et ouvriers, ce qui est donc faux : il n’y a pas de communauté de vie dans l’immeuble, et la communauté de travail dans chacun des ateliers est celle de n’importe quelle unité industrielle d’hier ou d’aujourd’hui, sans aucune référence au système de Fourier.
7 square Saint Amour

L’immeuble ne contient pas plus « une fabrique », comme il est écrit sur le panneau, qu’un « phalanstère » : quelque 400 autres ateliers de même structure existent dans la ville au plus fort de l’activité horlogère et forment tous ensemble « la » fabrique d’horlogerie de Besançon organisée sur le même type que « la » manufacture d’armes de Saint-Etienne : un ensemble d’ateliers produisent les différentes pièces (fabricants d’aiguilles, fabricants de ressorts, de pignons…), d’autres horlogers pratiquent l’assemblage des pièces (monteurs de boîtes…), d’autres encore assurent la distribution des pièces entre les différents partenaires ou la commercialisation du produit fini. Chacun des ateliers participe à son niveau à l’élaboration de ce qui, une fois monté, devient une montre, et Besançon fabrique vers 1870 90 % des montres françaises. De ce fait, la référence au système phalanstérien entraîne une lecture fausse de l’édifice et surtout – c’est cela qui m’importe – de ce qu’est l’horlogerie dans la ville, de l’impact architectural qu’elle a eue pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle dans toute la boucle, et depuis dans la rue Gambetta, l’avenue Denfert-Rochereau et l’avenue Carnot, ou encore le quartier de la Mouillère, etc. L’aboutissement de cet esprit architectural novateur, directement lié à l’état du système économique, est la construction de l’usine Dodane, avenue de Montrapon, ou l’immeuble en étoile de la rue de la Mouillère.
SIDHOR 23 rue de la Mouillère
Pas d’horlogers fouriéristes à Besançon (ni proudhoniens d’ailleurs) qui auraient construit sur le square Saint-Amour un immeuble hors normes dans sa conception sociale, mais des horlogers (les frères Savoye) qui ont créé une architecture spécifique aux conditions particulières de l’économie bisontine.

Une activité prospère de négociant horloger et des interventions dans de nombreux domaines

Petit Comtois n) 1 au 1 août 1883

L’adresse de la rédaction et l’administration du Petit Comtois est au 7 square Saint Amour (la maison Savoye)



Charles Savoye participa à la création en 1883 du quotidien Le Petit Comtois avec Jules Gros le rédacteur en chef, avocat, franc-maçon, Victor Delavelle son beau-frère, notaire et maire de Besançon,
Portrait d'Alfred Nicolas Rambaud

Font partie aussi des fondateurs du Petit Comtois Alfred Rambaud, professeur, secrétaire du ministre Jules Ferry, élu Conseiller général contre le Baron Daclin, mais aussi l’artiste peintre Antonin Fanart et le Docteur Perron.

Un intérêt pour le cinéma. La première projection bisontine aurait eu lieu le 6 mai 1896, dans la maison Savoye, l’immeuble horloger du Clos Saint-Amour. Par la suite, cette animation va s’étendre dans différents lieux : fêtes foraines, cafés, etc. Mais des raisons de sécurité imposent des salles spécialisées. Et la première salle de cinéma à Besançon date de 1910 et se situe rue des Chaprais. C’est la salle de spectacles l’Alcazar qui se transforme en cinéma l’Alca avec mille places! 

Charles Savoye s’implique dans la création de la station thermale
C’est la grande époque des stations thermales. Les ingénieurs des mines Boyer et Résal ont découvert l’existence d’eaux salines à Miserey. Achille Vialatte, un investisseur parisien s’associe aux deux ingénieurs pour créer un complexe thermal à Besançon. Le secteur proche du Doubs et de la promenade Micaud s’avère idéalement placé. Le site qui appartenait à un entrepreneur chapraisien M Vermot a été cédé à Charles Savoye qui l’a revendu en 1892 à la Société du Grand hôtel des Bains
avenue Carnot le Grand hôtel des bains devenu Villa Médicis
Le Grand hôtel des Bains devenu la villa Médicis

 

Christian Mourey résume en écrivant

L’annuaire du Doubs de 1899 signale un Charles Savoye, propriétaire au 7 de la Place Saint-Amour (Maison Savoye)

Avec son frère Eugène, il représente la quatrième génération issue d’un modeste horloger immigré suisse mort à Besançon en 1797. Charles Savoye incarne la flamboyante réussite économique et sociale de cette lignée. C’est la grande bourgeoisie inspirée de l’époque. Il s’implique dans la réalisation de l’Hôtel des Bains mais aussi des Habitations Bon Marché. La diversité de ses interventions philanthropiques le place au rang des Bersot, Veil-Picard, Millot…

En 1893, le fait que la municipalité lui confie la rédaction de la plaquette du Centenaire Mégevand en dit long sur la notoriété acquise.

Voilà quelques éclaircissement sur ce personnage et sa famille. Il est regrettable que l’article ne soit pas illustré par un portrait. Si un lecteur en a un, merci de bien vouloir le communiquer.

Sources : Archives de Besançon memoirevive, Dictionnaire biographique du département du Doubs, charles-fourier.fr, Christian Mourey, Besançon, ville horlogère d’Eveline Toillon, La preuve par 9 de Joseph Pinard, plaquette du CCH sur le Grand hôtel des Bains …

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