Questions à M. Jean-Pierre Gavignet à propos de son roman « Les Aventures de Ferry Roy »
Dans un article paru sur ce blog, le 16 décembre 2017, nous avions évoqué la publication par M. Jean-Pierre Gavignet, historien connu, habitant les Chaprais, de son roman « Les aventures de Ferry Roy » publié aux éditions Vandelle.
Après lecture, nous avons posé quelques questions écrites à son auteur. Voici donc ses réponses très précises. Qu’il en soit ici remercié.
1.- Ce qui frappe, dès les premières pages, à la lecture de votre « roman », c’est l’immense culture historique qu’il a nécessitée pour son écriture ! Aussi, notre première question sera : Combien vous a-t-il fallu de temps pour mener à bien cette aventure ? Et question connexe, Quelles ont été vos sources bibliographiques ?
Il est difficile d’évaluer le temps qu’il a fallu pour achever ce livre, parce que sa rédaction a été interrompue à plusieurs reprises par d’autres travaux. Mais c’est une entreprise qui se compte en années.
Dans cette estimation, il faut faire la part de la recherche et celle de la rédaction proprement dite. Les recherches dans les archives (surtout pour la partie comtoise de l’histoire) et la lecture, ou la relecture, de nombreux ouvrages de chroniqueurs, de voyageurs, d’humanistes, de médecins du XVIe siècle ont été pour beaucoup dans la longueur de ce travail.
Henri Corneille Aggripa de Nettesheim (wikimedia commons)
2.- Sur la forme : vous avez, semble-t-il, recherché le style utilisé au XVI°, ce qui se traduit, entre autres, par de longues accumulations de termes précis plus ou moins synonymiques (ex. p 165 à propos du terme « balivernes ») : Avez-vous un ou des modèles précis de récits auxquels vous vous êtes référé ?
Afin de faire parler Ferry Roy, homme du XVIe siècle, de façon immédiatement intelligible pour le lecteur d’aujourd’hui, j’ai imaginé l’histoire d’un manuscrit détruit dont ne subsiste qu’une transcription modernisée du XIXe siècle. Cette transcription conserve cependant des mots et des tours du manuscrit d’origine, que des notes de bas de page permettent de comprendre aisément.
La répétition de mots synonymes manifeste parfois le désir d’expliquer des mots régionaux par d’autres, d’usage plus courant. On peut y voir aussi l’expression du goût du temps pour le style abondant. Quand ces mots forment des listes, parfois longues, il s’agit vraisemblablement d’un jeu d’humaniste, ou, peut-être encore, des exercices de mémoire d’un prisonnier privé de livres qui s’attache à faire le tour de ses connaissances.
3.- Vous utilisez beaucoup de mots anciens comtois ; voire vous forgez d’autres à partir du latin : là aussi, où avez-vous puisé vos sources ?
Le héros de cette histoire forge des mots à partir du latin ou de l’italien. On peut y voir, là encore, un plaisir d’humaniste, et même une coquetterie d’érudit. Mais le français d’alors n’étant pas la langue fixée d’aujourd’hui, ce genre de liberté n’avait rien de surprenant. Il n’est que de se rappeler les efforts, en la matière, des poètes de la Pléiade. Quant aux mots comtois, ils viennent tout naturellement sous la plume de Ferry, surtout ceux qu’il emprunte au patois de Nozeroy, sa petite patrie.
Photo wikimedia commons
4.- La composition de votre roman est magistrale : un prologue qui plante le décor et annonce ce récit des aventures tragiques de Ferry Roy ; un épilogue qui peut nous laisser éventuellement entrevoir une fin plus heureuse dans son tragique ; des chapitres qui alternent le récit des aventures passées de votre héros et sa fin de vie chez les indiens, bref, vous composez en tenant le lecteur en éveil : A quand un roman policier historique ?
C’est un genre différent. Vous me faites bien de l’honneur en pensant que je peux y réussir. En tout cas, ce n’est pas à l’ordre du jour.
5.- Sur le fond maintenant : d’où vous vient cette connaissance de ces indiens du Brésil et leurs mœurs, de leurs dieux (P.175) ? (si vous n’y avez pas répondu dans vos sources bibliographiques)
La vie des Indiens de la côte du Brésil est bien connue par les récits des voyageurs et des navigateurs de l’époque. Il y a, notamment, le témoignage des Français Jean de Léry et André Thevet, ainsi que celui d’un Allemand, Hans Staden, qui, comme Ferry Roy, fut prisonnier des Indiens et menacé d’être mangé.
Festin de cannibales auquel assiste Hans Staden ( sur la gravure, l’homme barbu…) Photo HistoriaZine
6.- Vous évoquez (p.91) Erasme et son court séjour à Besançon : Episode historique réel et la relative mauvaise opinion d’Erasme sur notre ville est-elle attestée ? Besançon ne possédait pas alors d’imprimerie ?
Ce qui concerne l’opinion d’Erasme sur Besançon et sa visite, dans cette ville, à son ami Ferry Carondelet est conforme jusque dans le détail à la réalité historique.
Portrait d’Erasme (wikipedia)
7.- Vous évoquez le passage de Ferry Roy, lors de sa fuite dans un village que vous situez entre Ornans et Montbenoit et sa rencontre avec un curé qui ne connaît point le latin (p. 83). Etait-ce si fréquent à l’époque ?
La formation des prêtres de paroisse, au XVIe siècle, pouvait être de qualité inégale. La rencontre de Ferry avec un curé de campagne qui connaît très mal son latin est tout à fait possible. C’est pour remédier à ces lacunes que le concile de Trente, au milieu du XVIe siècle, institua les séminaires, destinés à mieux préparer les clercs aux saints ordres.
8.- A propos de la situation des femmes dans la société de l’époque (p.53), vous introduisez un vrai débat : Est-il vraisemblable sur le plan historique ? Quant au choix d’une nourrice (p. 164) vous glissez une opinion sur les blondes et les brunes. A cette époque, déjà, on professait ce qui apparaît aujourd’hui comme inepte ?
Ferry Roy tient là des propos qu’il a pu emprunter à Corneille Agrippa, humaniste allemand qui publiait à la même époque, vers 1526, un ouvrage original, anticonformiste et parfois paradoxal sur l’excellence des femmes. Mais est-ce chez Ferry la manifestation d’une conviction sincère, ou le plaisir d’une belle dispute universitaire (c’est-à-dire d’un débat contradictoire) avec ses condisciples de l’université de Dole?
Quant à son opinion sur les mérites comparés des nourrices blondes et des nourrices brunes, on la trouve dans les traités médicaux du temps.
9- La question des sorcières et de l’exorcisme est évoquée. Cette question était-elle aussi centrale à cette époque ?
Les actes du procès de la sorcière jugée à Luxeuil en 1529 sont connus des historiens. Si ce procès occupe une certaine place dans le livre (en fait, la plus grande partie d’un chapitre), c’est qu’il était tentant, pour un romancier qui souhaite tenir le lecteur en haleine, de faire vivre à son héros une aventure dont les détails dramatiques et pittoresques sont aussi abondamment fournis par les textes.
10-Ferry Roy vit des aventures très diverses en Europe, en Afrique du Nord et en Amérique du Sud. Y a-t-il un fil conducteur qui permette de comprendre le disparate apparent de cette vie?
C’est la question du mystère de la destinée de chacun sur cette terre, à laquelle se mêle constamment le mystère du mal (la guerre, la maladie, la souffrance des bêtes, les calamités naturelles). Est-ce le hasard qui nous mène? Ferry est convaincu que la Providence a un plan pour lui, mais il ne le comprend pas, même à la veille de sa mort annoncée. Pourquoi faut-il qu’il soit témoin, sans profit pour lui ni pour les autres, du terrible sac de Rome? Pourquoi est-il si mal récompensé de son pèlerinage à Lorette par son esclavage chez les pirates barbaresques d’Alger? Pourquoi, de proche en proche, se retrouve-t-il à Lisbonne, sur le point d’embarquer pour l’Amérique? Et pourquoi sa captivité chez les Indiens cannibales du Brésil, qui se proposent de le manger? Pourquoi la vie apparemment sans but de cet homme, partout promené de rivage en rivage, partout captif des uns et des autres, sans famille, sans héritiers? Vers quelle fin cachée tend-elle? Est-elle assez explicable et justifiée, cette vie aventureuse, agitée, décousue, parfois critiquable, par la somme des quelques bonnes actions que Ferry n’eût peut-être pas faites chez lui: soigner, ici, des blessés de guerre; assister, là, un condamné à mort? C’est la question qu’il se pose à Rome: » Suis-je venu jusqu’ici pour panser un bubon? » Après tout, pourquoi pas? Et si le salut de chacun, et de notre humanité tout entière, passait aussi par ce qui peut paraître le plus dérisoire, le plus contestable, le plus incompréhensible aux yeux des gens sensés, et aux yeux de Ferry le premier.
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