Suite 3 des souvenirs de M. Jules Devernay, ancien habitant de la Cité Parc des Chaprais

Suite 3 des souvenirs de M. Jules Devernay, ancien habitant de la Cité Parc des Chaprais

M. Jules Devernay se retrouve prisonnier à Grotzisk, en Pologne.

 

Carte_Pologne_fin_1939

 

La population Polonaise, la première que je voyais, depuis mon départ, pleurait en nous voyant ; elle nous aurait embrassés si elle avait pu le faire ; elle nous lança des boules de pain et de la nourriture et tout ceci à l’inverse des Allemands qui leur distribuaient de la crosse.

J’avais récupéré un pain à la volée, je l’avais enfoui de suite sous ma veste, mais malheur ! Il devait sortir du four, il était brulant ! Le soir j’avais des cloques sur la poitrine, mais j’avais mon pain ! Dans cette énorme ferme transformé en camp de prisonniers ça ne tournait pas rond non plus, ils avaient expulsé les propriétaires Polonais et fait poser par ceux-ci et les gens du village des barbelés sur 2 rangs à 2 mètres environ de distance et sur plus de 2 mètres de haut. Mais ils avaient complètement oublié nos chambres à coucher, c’est quand même important lorsqu’on reçoit des étrangers ; et le prestige alors ? Toute une éducation à refaire !

barbelés

Nous étions près de 2000 en tout, mais nous arrivions par paquets de 2 à 300 à la fois (d’habitude on parle de paquets de 10 ce n’était pas le cas). Enfin nous, nous sommes comme de braves Français les meilleurs bricoleurs du monde, même en temps de guerre. Nous nous sommes donc débrouillés nous-mêmes pour fabriquer des lits de 24 personnes et à 3 étages avec des planches qui étaient stockées à cet effet dans une petite grange, grande comme un supermarché.

carte camps

Naturellement, comme dans les courses de taureaux en Espagne nous recevions des encouragements de la part de nos « Gardians », soit de la voix, tel que Schnell, Arbeit, Kein Arbeit, Kein Essen ou encore Schwenerein (excuses pour ce mot, mais ce qui a été dit doit être dit, si cruel soit-il). Enfin ce qu’ils disaient n’avait pas d’importance, on n’y comprenait rien de rien. Quant aux actes, ce n’était pas la même chose, c’était compréhensible : ils avaient remplacé la banderille par la crosse et les coups de pieds appliqués à un endroit que je ne vous dévoilerai pas (ça coûte trop cher, 10 frs par exemplaire ! très peu pour moi), disons donc le plus simplement du monde à l’endroit adéquat.

Tout n’était pas fini, le soir de notre arrivée…les uns couchèrent donc sur les échafaudages terminés et les autres par terre sur la paille ; riches comme pauvres tout le monde il était sur la paille ! Quelques jours après nous avons une fouille en règle ; à part mes 20frs 20 de l’époque (que je n’ai jamais revus) on ne me fauche rien d’autre.

La soupe est « délicieuse » et d’une limpidité d’eau de roche quelques malheureuses rondelles de concombres flottent, l’œil triste car elles savent que leur dernière heure a sonné, c’est à peu près tout ce que la soupe contient de légumes, mais il y a aussi quelques petits restes de nerf ou de viande égarés ; la grosse difficulté c’est que nous n’avons pas de microscope pour en évaluer la masse, ni de balance pour en connaitre le tonnage. Nous sommes en pleine période de disette, les plus petits peuvent lire dinette s’ils le veulent.

la soupe

Fort de la convention de Genève, comme sous-officier, je refuse de travailler, mais ça ne dure pas longtemps, car je suis admis à l’infirmerie pour une dysenterie, quelque chose de bien sonné, et je descends encore facilement de poids. Poids record obtenu : 42 kilos, je suis classé Hors Concours ! L’infirmerie est sérieusement désinfectée, nous marchons littéralement sur de la chaux… et puis, comme je ne suis pas le seul atteint de cette maladie, ça sent tout ce que l’on voudra, sauf la parfumerie ; le pain kaka que nous avons pour notre ration journalière, tourne de l’œil comme les bonhommes. Enfin, le 20 Juillet, je suis évacué sur l’hôpital de Gräetz.

infirmerie

Je reprends petit à petit du poil de la bête, c’est à dire du poids ,vous aviez compris) mais il faut dire que ce n’est pas de leur faute, car nous sommes trois dans la chambre et nos infirmiers en partie Polonais. Ainsi nous arrivons à connaitre l’état des lieux par rapport à la cuisine et établissons nos plans de bataille pour des invasions de nuit ; par manque de forces parfois nous traînons à quatre pattes, mais nous torpillons avec parcimonie ( ce n’est pas un corse !)les armoires où il y a de la graille. Nous avons mieux réussi qu’en 39, et nos vert-de-gris ne se sont jamais rendu compte qu’il y avait des manquants dans leurs munitions de bouche. Je sors de l’hôpital le 9 aout 1940 et retourne au camp pour passer une petite convalescence à l’infirmerie ; certains ; après cela prétendront encore que ce sont des sauvages !

prisonniers livre

En Septembre, je commence à me rendre compte que la convention de Genève ne nous oblige pas à travailler comme gradé, mais aussi qu’elle ne nous apporte pas la nourriture complémentaire…aussi j’abandonne les Conventions des PETITS SUISSES et demande à rentrer comme tailleur à l’atelier du camp, car les gars usent leur fond de culotte, pas sur les bancs de l’école, mais sur les chantiers : il faut donc éviter de nous transformer en Sans Culotte ?

convention de geneve

 La suite des souvenirs de M. Jules Devernay sera publiée le 19 août.

About Author