Quand Flore a failli disparaître…

Quand Flore a failli disparaître…
Quand Flore quitta son emplacement provisoire le 18/12/2013 pour retrouver sa place, elle s'arrêta au bar Flore prendre une boisson chaude.

Quand Flore quitta son emplacement provisoire de la place de la Liberté, le 18/12/2013, pour retrouver sa vraie place, elle s’arrêta au bar Flore fin d’y boire une boisson chaude.

A l’occasion du café histoire des 8 et 15 décembre 2016, cet épisode peu connu de l’histoire de Flore a été abordé.

Photo du socle de la statue Flore avant son installation provisoire place de la Liberté 21 juin 2012

Préparation de la réinstallation provisoire de Flore place de la Liberté juin 2012

Oui, Flore, la voyageuse, a failli ne pas se remettre d’un petit voyage(?) durant l’occupation allemande! Elle aurait dû être fondue comme d’autres sculptures et monuments en bronze à Besançon,et dans toute la France! Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point d’histoire puisque nous avons découvert, aux archives municipales de Besançon des documents fort intéressants…

Une loi du 11 octobre 1941, promulguée par le Maréchal Pétain, sous la pression des autorités allemandes, enjoignait de récupérer le maximum de métaux non ferreux indispensables à l’industrie militaire allemande. Après un échec relatif de la récupération payante auprès des particuliers, les collectivités publiques sont mises à contribution: elles devront se séparer de nombreux monuments du passé (le métal obtenu sera payé aux collectivités). L’administration française se met donc rapidement en ordre de marche et des commissions départementales créées afin de sélectionner les monuments envoyés à la refonte.

Mais revenons à notre déesse Flore. Tout semble bien commencer pour elle puisque la commission départementale de sauvegarde des œuvres d’art et historiques, réunie le 13 novembre 1941 à la Préfecture du Doubs, indique qu’il convient de la conserver.

 Les 3 documents reproduits ci-dessous indiquent la composition de la commission préfectorale du Doubs chargée de l’application de la loi du 11 octobre 1941, la convocation à cette réunion puis son compte-rendu.

Cotculaire préfectorale précisant la composition de la commission qui doit arrêter la liste des statues à envoyer à la refonte

La composition de la commission chargée de l’inventaire des monuments à enlever.

Flore doit être sauvegardée indique les membres de ma commission départementaleréunie le 13 novembre 1941.

Après la réunion de la commission le 13/11/1941 Flore figure sur la liste des monuments à conserver

 

Photocopie de la convocation de la commission départementale du Doubs

Convocation de la commission départementale le 13/11/1941

D’autant plus que son poids reste modeste par rapport à d’autres monuments bisontins. Mais «  par lettre en date du 11 décembre 1941, l’ingénieur en chef de la circonscription de Dijon des Industries Mécaniques notifie à la Ville la décision du Comité instauré au Secrétariat des Beaux Arts d’enlever non seulement les monuments condamnés par la Commission départementale mais également tous ceux dont elle demandait la conservation ou le remplacement ». Et la statue Flore a été déboulonnée, certainement fin 1941, à la suite de cette décision!

Une lettre officielle du Groupement d’Importation et de Répartition des Métaux est adressée le 4 août 1942 au Maire de Besançon, H. Bugnet, qui indique en substance « En réponse à votre lettre du 18 août 1942, nous avons l’honneur de vous informer que nous sommes d’accord pour remettre sur son socle la Fontaine Flore. Nous chargeons la maison Danzas de votre ville de rechercher une entreprise susceptible d’exécuter ce travail délicat».

Photocopie officielle courrier : Flore est sauvée

Flore est sauvée

Ce courrier est confirmé par celui de l’entreprise Danzas, en date du 31 août, adressée au Maire, au sujet de cette remise en place.

Mais, patatras, branlebas de combat, le même Groupement d’Importation et de Répartition des Métaux écrit, quelques jours plus tard, au Maire de Besançon le 7 septembre 1942, ce n’est plus sûr, il convient de surseoir à la réinstallation de Flore.  » Suite à notre demande, M. l’Ingénieur en chef d’État, chef de la circonscription de Dijon nous a fait connaître qu’il était entièrement d’accord pour que les statues de Flore et de L. Pergaud soient remises en place par nos soins.

Toutefois cet ingénieur nous avise qu’il y a lieu de surseoir à cette mesure, les commissions devant se réunir à nouveau pour réexaminer les œuvres conservées (en exécution de la D.M. en date du 14 août 1942 du Ministère de l’Éducation Nationale adressée aux Préfets).

Nous vous saurions gré de vouloir bien nous tenir au courant de la décision qui sera prise à la suite de ce nouvel examen »….

On remarquera au passage que le 7 septembre, le Groupement ne semble pas être au courant de la Décision Modificative en date du 14 août. Ou alors, en ces temps d’occupation, est-ce que ce n’est pas parce que  les arcanes de l’Administration Centrale étaient longs ? Et si le ministère de l’Éducation Nationale est impliqué, c’est parce  le secrétariat D’État aux Beaux Arts lui est alors rattaché.

Dans le même temps, l’entreprise Pateu Robert (voir à ce sujet les deux billets consacrés à l’histoire de cette entreprise) établit un devis détaillé pour la pose de Flore au sommet de la fontaine du même nom, d’un montant de 1 375 F.

Jugez plutôt : « Un camionnage de l’Ecole des Beaux Arts à notre dépôt rue de la Mouillère pour y effectuer les réparations y compris temps passé au chargement et déchargement (90 F);

Réfection des équerres et boulons de scellement cassés (150 F);

Un camionnage de notre dépôt à la place Flore y compris temps perdu au chargement et déchargement (75 F);

Repose de la statue à grande hauteur y compris équipement des appareils de levage; descellement des boulons cassés scellements neufs et calfeutrements; fourniture de ciment et sable (850 F);

Location de matériel de levage y compris jarretières, cordes à main et matériel divers (150 F);

Un camionnage pour ramener le matériel à notre dépôt, le ranger (60 F).

Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, mais au final ce n’est pas cette entreprise qui sera choisie, mais P. BOUVARD, avenue de Chastres Montjoux (actuellement, avenue du commandant Marceau) qui décline la raison sociale suivante :Entreprise de Charpentes. Bois et Fer. Les dates probables de cette décision sont septembre ou octobre 1942

L’information importante contenue dans ce devis est bien sûr la localisation de Flore : à l’école des Beaux Arts! Il semble cependant qu’elle ait séjourné (fin 1941, tout début 1942),peu de temps, sur un chantier de démolition ou de refonte, en Lorraine, à Houdemont comme ce fut d’ailleurs le cas pour d’autres sculptures des Chaprais…

Une note manuscrite, émanant du service de la voirie de Besançon (dirigé alors par m. Wagner), en date du 19 juin 1944, indique, au sujet de la facture de l’entreprise Bouvard  »

« Lors de la campagne de mobilisation des métaux non ferreux, la statue Flore a été déposée et envoyée à la fonderie par les soins de l’État. Ne convenant pas elle a été retournée et quelque temps après elle était replacée sur son socle par l’entreprise Bouvard». Cette note est à l’adresse d’un certain M. Dufond, Production Industrielle, Building, rue Proudhon. Car la mairie essaie de faire acquitter la facture de la pose de Flore, par cet organisme, qui avait déclaré vouloir la prendre en charge.

A quelle date Flore a-t-elle été reposée? Si l’on en croit les factures de l’entreprise Bouvard, la première est établie le 13 mars 1943. On peut donc en conclure que ce travail a été réalisé au début de l’année 1943…Donc son absence, au-dessus de la fontaine place Flore, n’aurait duré que quelques mois…

Remarquons également que la facture s’élève à 2 171,75 F alors que le devis de l’entreprise Pateu Robert indiquait un coût prévisible de 1 375 F!…Et vous aurez compris à la lecture de ce billet, que le 19 juin 1944…..cette facture n’était toujours pas réglée à l’entreprise Bouvard! Si l’on ajoute que le sculpteur G. Laethier a été impliqué dans la « repose » de Flore (par le Maire écrit-il) et que l’entreprise Bouvard qui court après son argent lui demande des comptes…nous avons bien les éléments d’un feuilleton tragi-comique… L’entreprise Bouvard adressera une dernière lettre pour se faire payer le 4 septembre 1944 ! Il est vrai qu’il y avait beaucoup à faire, et à payer, à Besançon, à cette époque.

Photocopie d'une lettre de réclamation de l'entreprise Bouvard

Réclamation de l’entreprise Bouvard

Nous aurons d’ailleurs l’occasion de revenir sur G. Laethier et le sort réservé, à la même époque, à son monument à Proudhon qui était aux Chaprais (voir, sur ce blog, le billet qui lui a déjà été consacré).

Nous lançons un appel aux chapraisiens et au-delà aux bisontins : possèdez-vous des photos réalisées durant l’occupation retraçant la dépose de Flore, puis la fontaine sans sa déesse, et/ou la nouvelle installation de Flore? Si c’est le cas, vous pouvez nous les faire parvenir, numérisées ou pas (nous vous les rendrions, bien sûr…). Il s’agit de contribuer, par leur publication éventuelle,  en dehors de toute activité commerciale lucrative, à l’Histoire des Chaprais.

Ce billet ne prétend pas faire le tour de la question. Les recherches doivent se poursuivre concernant de nombreux aspects de ce dossier Flore! Remerciements à M. Bernard Carré pour des précisions importantes apportées.

Nombreux sont les artistes à azvoir représenté la déesse Flore, ici, cette sanguine de Chatles Le Brun, vers 1660 est une sanguine pierre noire et lavis gris. Propriété du Musée des Beaux Arts de Besançon

Dessin de C. Le Brun, 1660, la déesse Flore, musée des Beaux Arts de Besançon

En ce moment, au château du domaine départemental de Sceaux se déroule une exposition intitulée « De Vouet à Watteau » constituée des chefs d’œuvre du Musée des Beaux Arts et d’Archéologie de Besançon (actuellement fermé pour travaux). Au cœur de cette exposition, ce magnifique dessin de la déesse Flore, réalisé par Charles Le Brun vers 1660.

Cette exposition a été prolongée jusqu’au 12 février 2017. Donc si vous passez par Sceaux, n’oubliez pas de saluer « notre » déesse….

 

 

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