Les barques lavandières (2) suite…
Nous poursuivons la publication de cet article écrit par M. Christian Mourey, du groupe Histoire, Patrimoine, Mémoire des Chaprais. Si nous en jugeons par les chiffres de lecture de ce blog, cet article a rencontré un grand succès. Raison de plus pour poursuivre…Merci Christian Mourey. Revoir le premier article
Au sortir de la guerre, la municipalité décide la construction d’un lavoir municipal à Isenbart, un baraquement de bois d’un seul niveau situé au fond à droite du terrain de sport, dans le prolongement de l’allée de platanes, en surplomb du ruisseau. Il est désaffecté et démoli en 1965. Les élus réfléchissent à des propositions de reclassement et d’aide aux lavandières professionnelles. Trois ans plus tard, on démolit de l’autre côté de la rue Isenbart la Gangloff. Place au Président. (Photos 8 et 9)
Le lavoir d’Isenbart. Photo Bernard Faille, juillet 1965, peu de temps avant la « déconstruction ». De gauche à droite : au premier plan, Mme Bach habitait rue Claude Pouillet. Elle fut assassinée par un voisin pour l’équivalent de 30€. Puis Mme Devillers de la rue Krug. Mme Faivre de la rue Vignier. La quatrième, non identifiée vient du square Saint-Amour. La grande dame est Mme Bée, du bas de la rue Battant. Au centre, face à sa peluche, Juliette Vouney, dite « Juju », du haut de la rue Battant. Elle fut jusqu’en 1982 maquilleuse et costumière de la Crèche Franc-Comtoise de Battant au 37 de la rue Battant. Derrière elle, à demi cachée, Adèle Diéterlé de la rue Gustave Courbet; c’est la mère de Jean-Charles Diéterlé. Sur la table, couverts, thermos et cocotte en fonte car tous les témoignages le confirment, le ressort principal des lavoirs et des barques lavandières, c’était la bonne ambiance. A l’une de ces dames d’Isenbart, le mari proposa d’acheter une machine à laver. Elle refusa pour ne pas se priver de cette tranche de vie. Et pourtant….
La barque lavandière est un thème très prisé de la carte postale ancienne. Grand merci aux éditeurs et photographes de la « belle époque ». Emile Zola fit du lavoir un décor de Gervaise. Plus récemment Dominique Durvin et Hélène Prévost en tissèrent une pièce de théâtre « le lavoir » que Jean Pétrement, directeur du Théâtre Bacchus, adapta en condensé, pour les visites théâtralisées de l’Office de Tourisme de l’été 2007. (Photo 10)
Paradoxalement, le lavoir urbain et les barques lavandières sont peu présents dans la mémoire collective institutionnelle. Seule le ville de Laval sur la Mayenne a conservé et entretient deux barques sur la vingtaine de bateaux lavoir qui ont animé la rivière. Ce sont les seules en Europe. Les autorités ont partout poussé à la disparition de ces établissements. On reprochait à la batellerie lavandière d’être une entrave à la navigation fluviale, d’être un danger en cas de crue. Il est vrai que parfois, lors d’une montée des eaux, une barque éprise de grand large, rompait ses amarres pour aller s’éclater avec le premier pont venu. Mais la cause principale de leur disparition, c’est la machine à laver domestique. Oui, c’était un progrès et la Mère Denis, dans son costume de pilier de lavoir, a fait beaucoup pour cela. Fourberie de publicitaire.
Honneur à vous Mesdames les lavandières qui avez travaillé jusqu’à votre dernier souffle, dos voûté, mains abîmées. Vous étiez des nôtres, vous l’êtes toujours. « Et çà, c’est vrai çà ! » (Photo 11)
Souces : Mémoire Vive de la ville de Besançon,Bib. Barbizier N° 32- année 2008- article de Fernand Frachebois
Nous sommes dans les années d’avant guerre, et Michel FELIX, jeune apprenti menuisier
se voit « confier » les tâches que personne ne veut accomplir. Je pense que même à l’heure
actuelle, tous les apprentis(es) commencent leur vie professionnelle avec un balai ou une
serpillière à la main.
C’était donc le moment de faire de la place dans l’atelier et on avait chargé de chutes de
bois inutilisables la « baladeuse », sorte de chariot à deux grandes roues cerclées de fer que
l’on manœuvrait au moyen de deux bras qui faisaient comme une limonière. Ce chariot
était bien pratique pour déplacer des pièces longues telles que pièces de charpente.
Voici la baladeuse, chargée au maximum, prête pour la livraison à la barque lavandière. Il
me semble qu’il s’agissait de celle qui mouillait à la Tour de la Pelote, mais je n’en suis pas
sûr.
Et voilà Michel Félix, fringuant jeune garçon de quatorze ou quinze ans, bâti comme un
assemblage d’allumettes, parti pour la livraison. Mais des Chaprais au Doubs, ça descend !
Et ça descend même trop ! De sorte que, entraîné par le poids, Michel, qui ne le faisait pas
(le poids), guida tant bien que mal son équipage jusqu’au moment où, arrivé au bord de la
rivière, une pierre traîtresse bloqua net la roue droite du chariot qui fila tout droit dans les
flots.
Les lavandières et les badauds –si si il y en avait- pensaient bien plus à s’esbaudir qu’à
venir en aide au pauvre Michel qui regardait, impuissant, s’en aller son chargement au fil de
l’eau.
On imagine sans mal l’accueil qui lui fut fait à son retour à la menuiserie : après avoir conté sa mésaventure à son patron, celui-ci jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus (dixit Jean de la Fontaine-) ! Car perdre une baladeuse et son chargement qui ne serait jamais payé, cela faisait cher pour se moquer d’un gamin….
Suite au deuxième billet sur les bateaux lavoirs, en croisant une voisine qui venait de lire cet article, elle me confia que sa grand-mère avait été elle aussi lavandière sur les quais bisontins.
Et voici comment elle me déroula ses souvenirs.
» Pour gagner sa vie, ma grand-mère qui s’y connaissait en lessives avec un père et six frères et sœurs à tenir propres depuis le décès de sa pauvre mère, alla se faire embaucher sur les bateaux lavoirs pour battre le linge sur le « cuennot ».
En ce temps là, il y avait de la demande, mais ce n’était pas facile, et elle en a entendu des vertes et des pas mûres avec toutes ces « cancouanes » qui racontaient la vie de tout le monde.
Malheureusement, ma voisine a égaré son album de photos familiales. Je n’ai donc pas pu voir la frimousse de sa grand-mère dans ses jeunes années où elle était lavandière à Besançon.
PS: le cuennot est une planche
les cancouanes sont des commères
Michèle JOURDAN