La guerre de 1870, une guerre honteuse, et pourtant…2° billet
Voici la suite , toujours rédigée par Christian Mourey.
Cinq sociétés suisses sont présentes à la cérémonie du Champ-Bruley de 1893. Ces invitations font écho à un événement remarquable de la guerre de 1870, un chef d’œuvre d’humanité : l’accueil de l’armée de Bourbaki en Suisse.
Les 1er et 2 février 1871, harcelés par l’armée allemande, 87 847 soldats français et 2 467 de leurs officiers se présentent aux Verrières, à Sainte-Croix, à Vallorbe et dans la Vallée de Joux. Une convention d’internement a été conclue ; les armes sont déposées ; les frais d’hébergement publics sont estimés à 12 millions de francs suisses remboursés intégralement par le France dès 1872.
Les lieux d’accueil sont répartis sur toute la Suisse. Les autorités et surtout les habitants se précipitent pour nourrir, réconforter, aider et soigner ces soldats à la dérive. Un tiers est arrivé malade. D’ailleurs 1 700 meurent au cours des six semaines de ce séjour fraternel. Des soldats malades contagieux ont été accueillis chez l’habitant.
L’arrivée de 34 000 bourbakis aux Verrières est le thème d’une œuvre originale réalisée par le peintre Edouard Castres en 1881 : un panorama de 112 mètres de circonférence toujours exposé à ce jour à Lucerne. C’est l’illustration des sentiments de neutralité et de vocation humanitaire qui animent alors le jeune état fédéral.
C’est l’esprit d’Henri Dunant qui prend son envol. Choqué par le spectacle de l’après-bataille de Solferino (1859) ce Genevois, fort de ses convictions et de sa détermination avait initié la création de la Croix-Rouge en 1863 et la première Convention de Genève en 1864 pour lesquelles il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1901. Castres, le peintre du Panorama Bourbaki, avait lui-même financé une ambulance et suivi le périple de l’Armée de l’Est en France sous le sigle de la Croix-Rouge.
Cet esprit est présent aux cérémonies bisontines de 1893. Une chorale de Fribourg (Suisse) est émue par l’accueil qui lui est réservée à Besançon. Au retour elle fait parvenir à la Municipalité un tableau représentant une stèle érigée dans le cimetière fribourgeois et dédiée aux 81 soldats français décédés et inhumés à Fribourg. Sur la face avant du monument est gravé : « Dormez en paix, un peuple ami veille sur vous ».
Mais d’autres vents soufflèrent quelques instants ce 14 août 1893 à l’entrée du vallon du clair soleil. M. Prouet, secrétaire du groupe des conscrits des Chaprais déclama : « Nous, soldats de vingt ans après, jurons sur les cendres de ces braves, de verser notre sang pour les venger et reconquérir nos belles provinces qui gémissent sous le joug de l’étranger »
La guerre de 1870 est une guerre honteuse. Pour l’armée française, c’est un chapelet de défaites, de blocus, de redditions, de retraites et, cerise sur une plaie longtemps ouverte, se termine par la Commune, une guerre civile. Elle contenait en germes les deux déflagrations mondiales qui modelèrent le vingtième siècle. Mais ce conflit franco-prussien portait également les espoirs de plus de sérénité à venir dans les rapports entre les nations. Henri Dunant avait déjà évoqué la nécessité d’une société des nations, d’un tribunal pénal international. Ces espoirs bourgeonnaient aussi dans les discours inspirés de cette cérémonie, ce lundi 14 août 1893, au Champ-Bruley.
Merci encore à Marc Wattel, ancien architecte des bâtiments de France, pour ces deux dessins inédits, à la boutique La Missive pour les deux dernières cartes postales suisses et bien sûr à Christian Mourey pour ces 2 textes.