Durant le confinement, pas d’ennui avec un bon roman (suite)
Parmi les romans primés, les « coups de coeur » de lecture des Chapraisiennes réunies le mercredi 11 mars 2020
Voici la suite des 11 livres présentés lors de cette rencontre : après les auteurs français (Modiano, Rufin, Binet et Zeniter) voici les livres des auteurs étrangers
Yeruldelgger de Ian Manook, prix du polar SNCF 2014
présenté par Berthe
L’histoire se passe en Mongolie. Le commissaire Yeruldelgger est confronté au meurtre de 3 chinois et 2 femmes mongoles dans une usine à Oulan Bator, la mise en scène est particulièrement sordide.
A cela s’ajoute la découverte d’une petite fille enterrée avec son tricycle rose, qui ramène le commissaire à sa propre histoire douloureuse..
C’est une enquête aux multiples facettes, le commissaire et d’autres personnages très riches. Un concentré de violence brute, de l’autre, l’enseignement des moines, la recherche de spiritualité et de la force de l’esprit, le tout sur fond de délabrement d’une société soumise à la perte de ses repères après des décennies de soumission à l’idéologie soviétique, une espèce d’amputation de l’âme mongole. Il y a la description de la vie dans cette région du monde; la Mongolie, Oulan Bator, il y a quelque chose d’exotique….. Le hiatus entre modernité et traditions, le développement urbain sans âme, à la mode soviétique. Les conséquences de la période soviétique avec la perte des traditions, des connaissances acquises et transmises pendant des générations.
« Une âme restait autour de la tombe jusqu’à la décomposition du corps. Une autre âme rodait autour de la yourte pendant quarante-neuf jours et une dernière rejoignait le pays des âmes où on vivait comme on avait vécu sur terre. Trois âmes différentes ou une seule âme qui changeait ? Et pourquoi vivre au pays des âmes la même vie qu’ici bas ? Pourquoi chercher à le savoir ? Ce n’est pas l’espoir d’une autre vie qui doit te faire vivre la tienne ici-bas. C’est l’espoir de cette vie-là que tu dois transformer en promesse de la même vie ailleurs… »
Et tout cela sur fond de déserts balayés par les vents de l’Asie Centrale jusqu’à l’enfer des bas-fonds d’Oulan-Bator.
On y mange des ravioles de mouton gras et des marmottes farcies aux galets chauds, on boit du thé salé au beurre rance. On y croise la violence, la cupidité, les trahisons, les nouveaux riches.
« Yeruldelgger, c’est l’histoire d’un homme tourmenté, qui a connu l’amour d’une famille et la plénitude de la vie, mais que l’on rencontre 5 ans après un drame qui a bouleversé son quotidien et celui de son entourage. C’est un bon flic qui n’a plus que son boulot pour se sentir un homme, et un être vivant complet. »
J’ai beaucoup aimé ce livre.
Filles de la mer de Mary Lynn Bracht, Prix coups de cœur St Maur en Poche 2018
présenté par Marielle
Histoire des « femmes de réconfort »
Histoire d’Hana une jeune coréenne de 16 ans qui pendant l’occupation en Corée par les japonais. Elle est kidnappée par un soldat japonais qui la viole et le vend comme femme de réconfort. Elle est donc envoyée dans un bordel en Mandchourie. Elle s’est laissée prendre par ces japonais car elle était seule avec sa petite sœur de 8 ans et craignait qu’ils emmènent également celle-ci.
Il y a donc l’histoire horrible de cette jeune femme en particulier de sa liaison avec Morimoto un militaire qui la prend pour sa chose et la recherche constamment.
En parallèle, on suit la vie de sa sœur Emi avec ses enfants. Son mariage forcé, sa vie de « haenyo » c’est-à-dire « plongeuse des mers ; rares femmes dans cette société très liée au Confucianisme qui a un métier et qui leur permet de vivre de leur travail. Celle-ci mettra presque 50 ans pour parler de cette histoire à ses enfants. On sent la culpabilité d’être la survivante en raison du sacrifice de sa sœur, la honte d’avoir dans sa famille une « femme de réconfort » ce qui explique le silence. Malgré tout elle cherche inconsciemment à retrouver sa sœur.
Et on verra comment cela sera possible
Ce livre dur est un hymne au courage des femmes, il traite des ravages de la guerre : ici l’occupation de la Corée par les japonais dès 1910, puis la guerre sino-japonaise et la guerre de Corée .
C’est un fait réel environ 50 à 200 ooo femmes ont été kidnappées pour servir dans les maisons closes. Les survivantes sont rares .Les relations entre la Corée et le Japon sont en dents de scie depuis 1980. Le problème de ces femmes reste non réglé puisque le Japon nie ce fait. Les femmes coréennes ont créé une association et font une manifestation tous les mercredis devant l’ambassade du Japon à Séoul.
Mary Lynn Bracht est une américaine d’origine sud-coréenne qui a vécu au Texas dans une communauté sud-coréenne. Elle vit actuellement à Londres.
Récits Ultimes d’Olga Tokarczuk, Prix Nobel 2018 pour l’ensemble de son œuvre.
présenté par Katherine:
publié en 2004 en Pologne, en 2007 en France aux éditions Noir sur Blanc.
Olga Tokarczuk prix Nobel 2018, décerné en 2019
Un texte assez curieux composé de trois récits concernant chacun une femme de la même famille : Ida, la mère, Parka, la grand-mère, Maya, la fille.
Le premier récit, Blanche Contrée, , écrit à la troisième personne, tourne autour du personnage d’Ida. Elle a la cinquantaine, elle se trouve bloquée dans un hameau enneigé loin de Varsovie sa ville, à la suite d’un accident de voiture. Elle comptait profiter de ce voyage pour revoir la maison de son enfance. Elle est recueillie par un vieux couple qui s’occupe d’un home de chiens mourants. C’est le récit qui m’ a le plus frappée : on est dans une sorte de brouillard neigeux, de temps suspendu où reviennent en vrac des images du passé d’Ida et où surgissent des menaces sur sa propre vie.
Dans le second récit Paraskewia, la Parque, Parka, la grand-mère, dont le mari vient de mourir et qui vit dans une maison coupée du monde, revient sur l’ensemble de sa vie, une vie plutôt rude, tout en traçant dans la neige de la montagne un message annonçant la mort de son mari. C’est le seul des récits qui est ancré dans l’Histoire polonaise : Parka est une Ukrainienne qui s’est retrouvée en Pologne du fait de la seconde guerre mondiale et de ses suites. Avec le troisième récit, L’Illusionniste, retour à la troisième personne, changement de climat et même de continent : on arrive à Maya qui séjourne en Malaisie avec son fils, en principe pour des raisons professionnelles, mais qui semble un peu perdue.
Ce qui est déconcertant, c’est qu’on apprend peu de choses sur les rapports qu’ont entretenus (Parka est morte au moment où on suit les deux autres) ou qu’entretiennent entre elles les trois femmes. Seuls, quelques détails épars laissent penser qu’il y a eu entre elles certains malentendus. Ce qui fait le lien entre les récits, ce sont plutôt les thèmes : la fuite, la solitude, le sentiment d’étrangeté et surtout la mort qui plane (avec une allusion au mythe des trois Parques).
L’autre moitié du soleil de Chimamanda Ngozi Adichie, Orange Prize 2007
Présenté par Catherine
L’auteur
Chimamanda Ngozi Adichie, écrivaine nigériane née le 15 septembre 1977 dans une famille igbo de six enfants, originaire d’Abba au sud-est du Nigeria. Durant son enfance, son père enseignait à l’UNN comme professeur de statistiques, et sa mère était la responsable du bureau de la scolarité. Elle part étudier aux Etats unis.
Elle est reçue docteur honoris causa à l’université d’Edimbourg et à l’université de Fribourg en Suisse. Elle vit entre Lagos et Washington.
L’autre moitié du soleil est son deuxième roman paru en 2006 et qui a obtenu l’Orange Prize en 2007, prestigieux prix littéraire anglais décerné par un jury exclusivement féminin à des écrivaines de langue anglaise. Son troisième roman Americanah, sorti en France en 2015 traite des femmes nigérianes partant vivre aux Etats Unis
Le roman
Dans les années 60, l’histoire de deux sœurs jumelles, Olanna et Kainene, d’origine aisée igbo, c’est-à-dire chrétienne, comme l’auteur. La première vit avec Odenigbo, universitaire anticolonialiste très engagé, la seconde avec Richard, un journaliste britannique tombé amoureux du Nigeria et de Kainene ; sous le regard d’un jeune domestique Ugwu placé par sa mère chez Odenigbo. Ce petit monde qui n’aspirait qu’au bonheur est pris dans l’embrasement du Nigeria de 1967 à 1970 avec la sécession de la partie est du pays, le Biafra, dont l’emblème est un demi soleil jaune.
Ce que j’ai aimé :
– l’épopée romanesque (on a même parlé à propos de ce livre d’un « autant en emporte le vent » africain), les personnages principaux, de magnifiques portraits de femmes, la galerie de personnages secondaires, leur destin, souvent tragique mais aussi leur volonté de vivre, de survivre, l’amour, la guerre et ses horreurs, la mort…
– la description de toute une société avant la guerre puis pendant l’insurrection jusqu’au naufrage final, le rappel d’un conflit méconnu et oublié vu du côté biafrais, les espérances de certains idéalistes et l’attitude ambigue des nantis (les parents des deux jumelles), le rôle des puissances occidentales et la real politique,
Malgré sa dimension, ce roman (650 pages) est d’une lecture facile et prenante.
L’évangile selon Yong Shen de Dai Sijie, prix Panorama-La Procure 2019
présenté par Élisabeth
Dans un village proche de la ville côtière de Putian, en Chine méridionale, au début du vingtième siècle, Yong Sheng est le fils d’un menuisier-charpentier qui fabrique des sifflets pour colombes réputés. Les habitants raffolent de ces sifflets qui, accrochés aux rémiges des oiseaux, font entendre de merveilleuses symphonies en tournant au-dessus des maisons. Placé en pension chez un pasteur américain, le jeune Yong Sheng va suivre l’enseignement de sa fille Mary, institutrice de l’école chrétienne. C’est elle qui fait naître la vocation du garçon : Yong Sheng, tout en fabriquant des sifflets comme son père, décide de devenir le premier pasteur chinois de la ville. Marié de force pour obéir à de vieilles superstitions, Yong Sheng fera des études de théologie à Nankin et, après bien des péripéties, le jeune pasteur reviendra à Putian pour une brève période de bonheur. Mais tout bascule en 1949 avec l’avènement de la République populaire, début pour lui comme pour tant d’autres Chinois d’une ère de tourments – qui culmineront lors de la Révolution culturelle.
Dai Sijie, dans ce nouveau roman, renoue avec la veine autobiographique de son premier livre, Balzac et la petite tailleuse chinoise. Avec son exceptionnel talent de conteur, il retrace l’histoire surprenante de son propre grand-père, l’un des premiers pasteurs chrétiens en Chine.
La cloche d’Islande de Halldor K Laxness, prix Nobel 1955
Au début du XVIIIᵉ siècle en Islande, l’envoyé du roi de Danemark vient se saisir de la vieille cloche de Thingvellir, symbole national de l’indépendance islandaise, pour en faire des canons. Dans un geste de révolte qui est celui de tout un peuple, il est assassiné par un pauvre paysan déjà condamné à mort pour le vol d’une corde.
Publiée entre 1943 et 1946, à un moment où la question de l’indépendance se posait avec une acuité particulière, La Cloche d’Islande demeure l’œuvre maîtresse de Laxness.
• La date de la prochaine rencontre est fixée au Mercredi 6 mai 2020