Les barques lavandières

Les barques lavandières

M. Christian Mourey, membre du groupe Histoire, Patrimoine, Mémoire des Chaprais, a rédigé cet article et choisi les illustrations. Voici son premier article. Le second paraîtra samedi prochain 15 octobre. Nous l’en remercions vivement. 

La machine à laver a relégué la lessive au rang de servitude solitaire. Mais avant la Mère Denis, vedette de la publicité télévisée, la lessive, c’était comment ?

D’abord sources et rivières furent mises à contribution. On mit à la disposition des dames de lessive des lavoirs pour les préserver des intempéries. La barque lavandière était un bateau imposant à fond plat (d’où le nom de « plate ») aménagé en lavoir et amarré à demeure. La première à Besançon est recensée en 1696. A l’apogée de l’institution, la ville en compte une quinzaine dispersée au Pont de Bregille, au Pont Saint-Pierre, à la Pelotte, au Quai d’Arènes.

Photo d'une barque lavandière vers 1860

photo 1: barque lavandière vers 1860 en aval du pont Saint-Pierre. La rive droite du Doubs n’est pas aménagée et ce, de Micaud au pied de Chaudanne.

Le bateau lavoir est une entreprise privée, exploitée par son propriétaire secondé par un chauffeur responsable de la chaudière à bois ou au charbon qui fournit l’eau chaude. La barque est soumise à une autorisation et à une redevance municipale. Elle accueille ménagères et professionnelles à qui l’on demande une participation modeste au temps passé. On peut y acheter du bleu pour blanchir le linge, de l’Eau de Javel, des cristaux de soude, du savon de Marseille mais aussi du café, de la bière ; on évitait le vin mais la lavandière ne dédaignait pas une « tisane de bois noueux » car la tâche était rude.

Photo de l'intérieur d'un bateau lavoir : on y distingue 6 femmes aux diverses tâches

Photo 2 :document rare : l’intérieur d’un bateau lavoir

Il fallait d’abord décrasser le linge amené dans une corbeille, une brouette ou une charrette. C’était en général du blanc qui pouvait être mis à tremper la veille. Il subissait un premier lavage à l’eau froide de la rivière, savonné, frotté à la brosse à racines (en fait des racines de chiendent séchées) sur une planche à laver de bois crantée. Puis le linge était plongé dans des lessiveuses en zinc ou des seilles (gros baquets de bois) remplies d’eau bouillante.

Après un trempage suffisant, le linge était rincé dans l’eau du Doubs tout en étant tapé gaillardement à grands coups de battoir, genre de pelle plate en bois, à manche court, pour être défroissé. Enfin on tordait le linge pour en extraire la dernière eau. Les articles délicats étaient traités en mode doux.

Le séchage pouvait s’effectuer sur la barque lorsqu’elle disposait d’un toit aménagé mais généralement le linge était transporté dans les séchoirs des greniers des  maisons.

Photo prise depuis le pont saint-Pierre d'une barque lavandière, avec 8 lavandières au travail.

Photo 3 : barque à la digue du pont Saint-Pierre. Le « titi » bisontin hésitait à titiller ces « poules d’eau » penchées sur leur planche. Ces dames avaient le tempérament bien trempé et la répartie fulgurante. Les barques étaient la plus grande salle de rédaction de la ville et on n’y pratiquait pas la rétention de l’information. Les professionnelles lisaient même dans le linge. Le ragot en court circuit. Redoutable.

L’arrivée des eaux d’Arcier dans les cours d’immeuble et dans les étages au cours de la seconde moitié du XIX ème siècle ne mit pas fin à l’activité des bateaux lavoir mais elle permit la réalisation de buanderies, chambres de lessive communes aux habitants de l’immeuble équipé où pouvaient également intervenir des femmes de lessive professionnelles. Il subsiste quelques rares vestiges de ces buanderies en première ou deuxième cour.

Reproduction d'une vieille carte postale des lavoirs du pont Saint-Pierre

Photo 4 : barques au pont Saint-Pierre. Les Bisontins se baignaient à l’extrémité de la digue jusqu’à la réalisation progressive de la piscine de Chalezeule. Notez l’ordonnancement impeccable de la digue. C’est actuellement une friche impraticable. De même que l’interdiction récente de stationner sur le « parking » en contre-bas de Bellevaux en a fait une berge morte. La ville tourne le dos à sa rivière. Et pourtant Besançon est un don du Doubs.

La dernière barque bisontine, la barque Didier, située au bas de l’Avenue Denfert Rochereau, disparut pendant l’Occupation. Elle céda la place à la Passerelle remplacée depuis par le Pont Robert Schwint.

La barque Didier, sous la neige. Elle disparaîtra sous l'Occupation.

Photo 5 : la barque Didier sous la neige. Une photo de la Société Photographique de Besançon de l’époque. La cheminée et le petit bâtiment attenant correspondraient à un établissement de la teinturerie Penot sise au 3 avenue Carnot.

Photo de la barque Didier, près de la tour de la Pelotte, avec enfant.

Photo 6 : barque Didier avec enfant. Faute de gardiennage, il était courant que les enfants accompagnent leur mère à la barque.

Photo de la barque Didier avec son personnel : une vingtaine de femmes...et un homme, le chauffeur (d'eau)

Photo 7 : barque Didier et son personnel. La photo a été prise en 1919. Le propriétaire apparaît dans l’embrasure de l’entrée. La barque était gérée par sa concubine, Adeline Gardot, la 2° personne sur la passerelle à droite. Sur le pont, le chauffeur posant devant son « château ». C’est son logis. plus à gauche, celui du chien, plus modeste. Tout à gauche, une petite fenêtre avec des fleurs. De la lavande? Ce sera la dernière barque.

Sources : Barbizier n°32, année 2008, article de M. Fernand Frachebois; Mémoire Vive site de la ville de Besançon.

 

About Author