Le peintre Roland Gaudillière vu par deux artistes chapraisiens
Nous avons demandé à deux amis chapraisiens, que nous considérons comme des artistes, de choisir quelques tableaux de l’exposition en cours, à la mairie de Montfaucon, du peintre Roland Gaudillière (voir l’article précédent), hommage rendu à l’occasion des 20 ans de sa disparition.
Tout d’abord voici les choix et les textes de M. Alain Prêtre. il est tout à la fois photographe, dessinateur, sculpteur et historien amateur ( voir les articles qu’il a écrits et publiés sur ce blog, concernant les sculpteurs Laethier, Gonez, ses souvenirs concernant Johnny Hallyday, l’entreprise Kelton ou sur son grand oncle Henri Prêtre, aviateur, compagnon de Guynemer).
« Dans sa roulote
Qui grince et qui cahote Il y a peu de place
mais il se prélasse
Mieux que dans un palace! ».
« Elle passa dans un rai de lumière qui fit étinceler
le rubis de son diadème et briller ses yeux rouges
dans ses cheveux noirs.
A la suite de sa vipère, elle s’engagea dans le sentier »…
Extrait du roman « La Vouivre » de Marcel Aymé.
Le retour de l’école 1997
« Le trajet entre l’école et la famille était un espace de liberté. Filles ou garçons nous musardions pour en accroître la durée.
Les filles papotaient, échangeaient de mystérieux secrets, nouaient de fragiles amitiés, faisaient les coquettes quand elles se sentaient épiées par quelques garçons précoces.
En général les garçons se montraient plutôt méprisants pour la gent féminine. Ils terminaient leur partie de billes ou réglaient entre eux des comptes imaginaires. On était ennemis quand on n’habitait pas le même quartier, quand on ne fréquentait pas la même école.
La guerre était d’abord verbale, on se lançait des bordées d’injures des plus triviales dont on se gargarisait; parfois elle s’aggravait. On se battait à coup de cartables avant d’en venir aux mains, puis chacun regagnait son foyer, accueilli par les manifestations de courroux des parents, quand l’heure prévue était largement dépassée.
Les déchirures des vêtements, les bosses, les écorchures étaient légitimées par quelques chutes ou incidents inévitables.
Le retour de l’école était un espace de vie interdit aux adultes. »
Alain Prêtre
Autre regard, autres choix de Guy Georges Lesart, ancien professeur d’histoire. Il a publié deux livres concernant deux aspects de l’histoire religieuse en Franche-Comté. « Notre Dame du doute, culte marial en Franche-Comté (du début du XIX° au début du XX° siècle » chez Cêtre (ouvrage épuisé ); « Six petits moines. Le miracle de Faverney,aux éditions de Franche-Comté à Vesoul (ouvrage épuisé). Mais notre ami Guy Georges Lesart est également photographe et poète (voir à ce sujet l’article paru sur ce blog le 4 février 2017,à propos de son exposition « Arc en neige », photos accompagnées de textes poétiques et le portrait d’artiste paru le 1er février 2018 sur le site de Vivre aux Chaprais).
Les charbonniers de la foi
Le philosophe Gaston Bachelard a beaucoup médité sur l’acte poétique.
Il parle du « puits de l’enfance » dans lequel se loge le trésor de tout artiste.
Il confie son admiration pour un vers du poète Audiberti qui se souvient de « l’odeur de son capuchon mouillé ».
Premier tableau : « L’extrême onction »
Une ferme à l’horizon.
Un chemin tracé comme une tranchée par les déneigeurs.
Quelques poteaux en bois, qui retrouveront leur fonction de clôture pour troupeaux une fois le grand vert revenu.
Ces éléments structurent le paysage enneigé.
Tapis neigeux à perte de vue, ciel sombre, personnage en noir. Tout connote le deuil et le dénuement.
Sur un second tableau, un curé, peut-être le même, part, toujours de nuit, dans la pénombre d’un presbytère avec un enfant de chœur porter «le viatique» à un mourant.
Vieux curés courbés, perclus de rhumatisme, au visage émacié,
Harnachés de vêtements et accessoires sacerdotaux, mitres, surplis, calice, patène, lourdes chasubles noires,
Ils partent dans la froidure et dans les étendues neigeuses de Franche comté.
Je revois le curé de ma paroisse, lorsque j’étais enfant, traversant lui aussi par tous les temps les rues de notre ville
Pour aller porter aux mourants les derniers sacrements,
À ceux qui allaient
« Passer ».
Troisième tableau
Un prêtre encore, tenant par la main l’un des pensionnaires de son internat pour « la promenade du jeudi » (autrefois jour de repos des écoliers au lieu du mercredi actuel)
Tous les enfants avancent dans la neige pour la promenade, protégés par leur cape et leur capuchon,
Cette scène pourrait sembler une provocation aujourd’hui,
A l’heure où éclatent tant de scandales de pédophilie dans l’Eglise catholique
Toutes les religions dites du « Livre » semblent incapables de gérer les questions de sexualité.
A la lecture de ces tableaux, on ressent presque physiquement la lutte de l’homme contre le tragique
Le blanc qui recouvre notre Franche-Comté, deux à trois mois l’an, est en lui-même une toile pour l’artiste
Tous les sujets qui s’y impriment, sont mis en exergue et prennent une dimension d’une exceptionnelle signifiance.
Gaudillière l’a bien perçu.
A l’heure où le monde s’étourdit de couleur.
Gaudillière se souvient des formes noires aperçues dans son enfance qui affrontaient la bise dans la froidure et parfois dans la nuit
Elles donnaient la main à des enfants affrontant la bise glaciale sous le capuchon de leur uniforme
Mis en internat par des parents peu aimants ou qui avaient trop à faire dans leur vie professionnelle
Enfants souvent en manque d’affection.
Moi qui ne suis plus croyant
Je garde respect et tendresse pour ces hommes qui ont peuplé mon enfance.
Ces curés certes étaient chargés de mille superstitions
Mais le plus souvent idéalistes, généreux, dévoués, souffrants, mystiques
Des prolétaires de « l’Ecclésia » qui accompagnaient les humains sur l’ultime chemin (via)
Des hommes le plus souvent humbles et solitaires dans nos villages perchés.
Pas des prélats chamarrés pour cérémonies officielles avec corps constitué et notables
Pas des curés toiles de fond pour mariés de l’an 2000 qui louent par la même occasion château, voiture de luxe
Pour que la journée du grand « oui » soit inoubliable,
Elle qui débouchera une fois sur deux sur un divorce
C’étaient des charbonniers de la foi
Moi qui ne suis plus croyant
A l’heure où nos aînés meurent dans des mouroirs sans âme appelés Ehpad (Espace d’Humiliation Partagée Avant Décès)
Je garde respect et tendresse pour ces hommes
Qui accompagnaient les humains dans le tragique
Donnaient la main au tragique
Pour le jeune des années 2000, étourdi de couleurs sur ses multiples écrans, ivre des néons flashy des parcs à jeux et des
débauches de noël, fête qu’on dit chrétienne…..
Cette scène appartient sans doute à la fiction
Certains exploitent même désormais ces défroques ecclésiastiques pour Halloween
« Halloween » une autre horreur venue d’Amérique qui se sert du tragique pour faire peur aux enfants et prend leur cervelle pour des citrouilles.
Le petit garçon qui accompagne ce prêtre ce matin-là, les doigts gelés
C’était moi.
J’ai vécu ces scènes, je peux témoigner
Pour peindre ces tableaux, Gaudillière a puisé dans « le puits de son enfance »
Le mien fut de la même eau.
Gaudillière ne dissociait pas peinture et poésie
« Je me souviens de l’odeur de mon capuchon mouillé »
GGL 2018
Photos : tous droits réservés.