La construction de l’immeuble Le Président

La construction de l’immeuble Le Président

Le 21 mars 1966, la société Champigneulles, qui avait racheté la brasserie Gangloff, adressait un courrier au Maire de Besançon pour l’informer qu’elle fermait son usine de Besançon pour la remplacer par un simple centre de distribution en zone industrielle. Et que c’était la S.M.C.I.  (« Société Moderne pour les Commerces et les Immeubles ») qui disposait des terrains de la rue Isenbart/avenue Denfert Rochereau et ce, pour un projet immobilier.

Champigneulles ferme sa brasserie

 

Le même jour, le 21 mars 1966, la SMCI déposait une demande d’accord préalable pour la construction d’un ensemble immobilier de 200 appartements, 140 garages et 60 parkings! A noter qu’à cette date la SMCI n’est pas encore propriétaire du terrain puisque la société Champigneulles est indiquée comme en étant la propriétaire. Cela expliquerait donc la première lettre citée….

Président et secteur : plan

Les hauteurs des bâtiments projetés sont alors dérogatoires aux règles en vigueur mais la municipalité donne rapidement son accord de principe tout en renvoyant, pour une décision définitive, à la Commission Nationale des Sites.

Nous le verrons dans un second article, le projet suscitera de nombreuses réunions et dès 1967 il est présenté au nom de la SCI « Le Président » constituée par la SMCI. Et il ne s’agira pas de construire 200 logements mais 139 auxquels s’ajouteront 14 chambres individuelles et 14 chambres de « bonne ».

Le 29 mars 1968, le permis de construire était délivré par la municipalité. Et paradoxalement, ce n’est que deux ans plus tard, lorsque ce projet sera concrétisé par la construction des premiers bâtiments, qu’il souleva le plus d’opposition dans une partie de la population bisontine : critiques dont la presse se fera l’écho. Mais nous y reviendrons.

plan du Président en 66

Tout d’abord, il nous a semblé utile de reproduire ce document émanant, dès la fin de l’année 1966, de la SMCI . Le voici, malgré sa longueur, dans son intégralité.Ce texte non signé a peut-être été rédigé par l’architecte du projet, M. André Maisonnier  (décédé en 2016 à l’âge de 93 ans), alors salarié à la SMCI.

 

 » A PROPOS D’UN PROJET DIFFICILE

L’habitude a une telle puissance que les bisontins subissent depuis deux générations le chaos le plus invraisemblable, juste à l’entrée de leur ville historique.

L’esthétique industrielle est un souci tout récent : la brasserie de Besançon représente bien l’usine du passé, énorme et laide. Le Vallon de la Mouillère, tout aussi désordonné, est une large ouverture sur le site promis à un aménagement de qualité. Les constructions qui s’étagent au-dessus du terrain de la Brasserie sont d’une architecture anecdotique, très douteuse, qui fait espérer un beau rideau d’arbres dissimulateur.

Le premier souci du promoteur et de son architecte, dans cette œuvre courageuse, de rénovation, est bien de créer une architecture de valeur, puisqu’on la découvrira depuis les jardins des remparts, comme depuis les quais du Doubs.

Si la silhouette de notre projet s’inscrit bien dans la courbe douce du vallon, elle veut aussi se profiler verticalement en proue de navire face à la rivière. Cette forme volontaire, culminant à 36 m de hauteur, est d’ailleurs proportionnée aux arbres existants, qui représentent les deux tiers de cette dimension.

Président côté Isenbart

Mais les créations humaines sont fragiles. Un péché tendu : c’est le parapet situé au pied de l’avenue Foch, qui, par une ouverture entre les arbres du vallon, vous offre un panorama de la Ville.

Le terrain est là, au premier plan, dominé de 24 m. Comment, dans une telle perspective, construire un bâtiment qui ne participe pas au paysage. Même à cinq niveaux de hauteur, il ne pourrait passer inaperçu. Tous nos photomontages nous en ont convaincus.

Un problème angoissant se pose alors :

– ne rien tenter.

– ou faire œuvre de bâtisseur.

L’engagement n’est d’ailleurs pas si facile.

Pour arriver au projet actuel, les études préliminaires ont été corrigées à six reprises par Monsieur MELICOURT, Architecte-conseil.

On peut toutefois se demander s’il existe des solutions de compromis. Nous en voyons immédiatement deux :

– la première consisterait à écrêter la tour de deux niveaux et, en compensation, à monter les autres immeubles. Le résultat serait un « U » à dix niveaux sur presque tout son périmètre. Le paysage serait masqué sur une longueur plus importante et la silhouette serait lourde et sans idée. Les façades et la maquette établies sur cette base le prouve.

– la deuxième consisterait à revenir à l’urbanisme du passé, avec construction à l’alignement. Le périmètre étant augmenté, le volume perdrait de la hauteur. La disparition des jardins prévus dans notre projet serait regrettable, aussi bien que celle des dégagements des carrefours. Nous avons rejeté cette solution, qui ne donne pas satisfaction au service de la Construction, ni à ceux de la Ville de Besançon, ni à la S.M.C.I.

On pourra tous objecter que la hauteur actuelle du bâtiment, jugée trop importante, est motivée par la recherche d’une forte densité. Nous rejetons par avance cette objection, pour les raisons suivantes :

1) la densité de notre projet est de 160 appartements par hectare.

2) cette densité ne peut être réduite sans compromettre l’équilibre de l’opération.

Le Président côté Denfert

 

À titre comparatif, les services d’urbanisme de la Ville de Lyon ont fixé une densité de 200 appartements à l’hectare pour toute la zone centrale de l’agglomération. Elle représente un minimum pour les rénovations.

3) la densité du projet récemment accepté par le C.A.U. pour l’îlot « avenue Denfert-Rochereau et sud de la place Flore » admet 220 appartements/ha.

 

Le présent rapport veut démontrer que la vue de notre projet depuis le parapet situé sous la gare ne doit pas nous faire renoncer à la construction d’un immeuble d’habitation résolument moderne de lignes et honnête de proportions.

La perspective plongeante depuis l’arrière du projet n’est certes pas courante et des faiblesses architecturales seraient cruelles ; par exemple, des cheminées ou machineries d’ascenseur pourraient détruire l’harmonie recherchée. Aussi acceptons-nous bien volontiers les conseils de Monsieur MELICOURT pour la création de terrasses-jardins au niveau des superstructures. Nous avons, d’autre part, adouci les volumes principaux, en créant des différences de niveau dans le couronnement, comme dans les murs des façades.

Ces volontés doivent nous amener à la construction d’un édifice susceptible de retenir l’attention du spectateur.

 

 

Cet ensemble ne peut être dissocié de la rénovation du Vallon de la Mouillère. En effet, si les membres de la Commission départementale des Sites se soucient, à juste raison, des volumes projetés par la S. M.C.I., il faut, pensons-nous, pour juger le projet, faire intervenir également les différents premiers plans dans la perspective offerte aux spectateurs installés sur le Belvédère.

Nous imaginons que les terrasses qui couvriront le grand parking seront verdoyantes et qu’au pied du bâtiment qui remplira le creux du vallon, se réalisera une belle place avec des arbres, car il faudra beaucoup planter pour conserver la liaison de verdure entre la promenade des Glacis et le parc des bords du Doubs.

Le projet S. M.C.I. prévoit pour sa part jardins de 10 à 20 m de profondeur en bordure des voies et une cour intérieure jardinée. On peut donc penser obtenir, dans un avenir assez proche, un ensemble de jardins et d’édifices modernes allant du Belvédère à l’entrée de la passerelle. (Il s’agit de la passerelle Denfert- Rochereau, actuel pont R. Schwint).

Le côté agressif que peut avoir notre projet à l’heure actuelle, quand on examine sa silhouette sur une photo de l’état des lieux, devrait disparaître, parce que noyé dans un ensemble de à trois fois plus vaste.

 

Pour terminer, nous voudrions encore faire état de nos nombreuses recherches, depuis tous les points de vue de la Ville de Besançon. Des perspectives qui ne nous laissent aucune crainte dans l’esprit seront offertes depuis les jardins des Glacis et depuis le Doubs.

Mais notre promenade à Chaudanne nous a permis d’examiner attentivement les silhouettes des constructions récentes. Elles deviennent en particulier très cohérentes et à bonne échelle depuis l’ensemble de la gare de la Mouillère jusqu’à celui de la rue Tristan Bernard, en passant par ceux des rues de la Mouillère, des Docks actuel boulevard Diderot) et Fontaine – Argent. On peut très bien imaginer que l’échelle du projet S. M.C.I. s’y raccordera naturellement laissant la parfaite unité architecturale de la vieille ville enserrée dans sa boucle.

En conclusion, nous souhaitons que la Commission des Sites donne son approbation, de préférence, au projet présenté le 28 octobre ».

Nous aurons donc l’occasion de revenir tout à la fois sur l’architecte de ce projet, M. André Maisonnier et sur la polémique que suscita cette construction, à partir de 1970.

Source : archives municipales; photos Alain Prêtre pour les photos actuelles et JCG pour les archives.

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