Les professions aux Chaprais au XIXe
Histoire des Chaprais au XIXème siècle : Transformation d’un hameau maraîcher en quartier urbain (5)
Quelles sont les activités professionnelles des Chapraisiens au 19 ° ? Répartition de la population des Chaprais par activités
Merci à M Fabrice Petetin de nous avoir permis de publier des extraits de son mémoire de maîtrise (2001)
Les sources : Les agents du recensement ont systématiquement relevé la profession des habitants. Toutefois, les critères ont changé. En 1794, il était prévu de relever uniquement la profession du chef de famille. En 1836, les agents précisent la profession des autres membres du ménage à condition qu’elle soit différente de celle du chef de ménage. Ce n’est qu’à partir de 1841 que tous les travailleurs sont relevés individuellement. A partir de cette date, le travail des femmes et des enfants est véritablement reconnu notamment dans l’agriculture.
Le classement des activités professionnelles en 13 secteurs
Comment regrouper les quelque 480 professions différentes recensées aux Chaprais ?
Tout d’abord, le secteur agricole, il regroupe les exploitants, (jardiniers…) et les ouvriers agricoles. Un autre secteur est très important : la domesticité. Un secteur phare pour les Chaprais né de la route nationale et dont le développement est intimement lié à la gare est celui des Transports. Ce secteur comprend les travailleurs du chemin de fer, le personnel roulant ou les loueurs de voitures. Associé à ce dernier dans la réussite des Chaprais, on trouve le secteur de l’hôtellerie de la restauration et les cafés. Trois autres secteurs sont liés à l’artisanat et au commerce. Il y a d’abord les professions de l’alimentation comprenant les boulangers, les bouchers mais aussi les moutardiers ou les brasseurs. Vient ensuite le secteur du textile et des chaussures, il regroupe aussi bien la confection (tisserands, tailleurs, sabotiers…) l’entretien (lavandières teinturiers…) que le commerce (marchands de vêtements, chiffonnier…). Un dernier secteur regroupe les autres commerçants, artisans et ouvriers spécialisés. Ce groupe hétéroclite contient aussi les agents d’affaires, les marchands de journaux, les fossoyeurs ou les coiffeurs. Vient ensuite l’horlogerie. Peu de métiers sont distingués dans ce domaine, les documents parlent le plus souvent d’« horloger » même si quelques spécialistes comme les peintres en cadrants ou les monteurs de boites font exception. En revanche, le secteur du bâtiment, des travaux publics et de l’ameublement se composent de nombreux métiers, comme maçon, menuisier ou scieur de long. Un dixième secteur est utile à presque tous les autres, il s’agit des tâcherons (journaliers, manœuvres…). La stabilité de l’emploi caractérise au contraire le secteur de l’administration qui est aussi celui des services et de la sécurité (armée, police, vigiles…). Deux derniers secteurs sont un peu à part. Il s’agit d’abord du secteur des professions de la santé et des professions libérales, et enfin celui des inactifs, des rentiers et des religieux.
Le hameau des Chaprais en 1794
En cette fin de XVIIIème, le hameau des Chaprais est largement agricole. 70 personnes travaillent dans ce secteur dont 65 jardiniers, un ouvrier jardinier, un vigneron et trois laboureurs. La plupart des autres sont des tâcherons ou des domestiques le plus souvent au service des maraîchers. Cela renforce un peu plus le poids écrasant des jardiniers dans cette micro-société.
On compte cinq aubergistes et un cabaretier. Le reste de la population est partagé en différents secteurs. Nous relevons par exemple, une blanchisseuse, cinq horlogers ou quatre rentiers et un « ex-prètre ».
L’analyse de tous ces éléments, le poids des jardiniers, la faible part des professions réclamant des qualifications importantes (cadres et professions intermédiaires), montre le caractère rural du hameau à cette époque. Aucun signe avant coureur ne laisse présager les changements des cent ans à venir.
En 1794, les 2/3 des Chapraisiens travaillent dans l’agriculture ou comme domestiques,
en 1866, 30 % et en 1886, 13 % seulement.
Les professions des Chapraisiens se diversifient au milieu du 19e siècle
L’année 1861 est marquée par l’effondrement de la domesticité. Ce secteur s’est jusque là maintenu à plus de 15% des actifs, mais il chute à moins de 8% en 1861. Il faut préciser que la part relative des ces professions avaient déjà été entamée dix ans plutôt. En effet en 1851, elle diminuait de moitié, passant d’environ 30% à 15%. Toutefois, de 1836 à 1856, associés à l’agriculture, ces deux secteurs représentent encore la majorité de la population.
Au cours de cette période, les secteurs des Bâtiments Travaux Publiques et Ameublement (BTPA) et des professions de l’alimentation ont pris de l’importance. Ils représentent environ 5% de la population chacun. Cette évolution montre le développement du quartier qui désormais a besoin de plus de bâtisseurs. La progression des professions de l’alimentation est aussi significative de ce point de vue. En effet, le quartier peut alors faire vivre quelques artisans-commerçants de ce type. C’est en 1836 que s’installent le premier épicier et le premier boucher. 2 boulangers sont recensés en 1841. Les brasseries se développent, celle de la famille Grenner fait vivre entre un et dix Chapraisiens tout au long de ces années. Le même constat peut être fait pour le secteur du textile et de la confection. En 1861, nous relevons par exemple, sept tailleurs et quatre couturières. L’entretien commence lui aussi à faire son apparition avec cinq lingères et une repasseuse
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La gare Viotte ouverte en 1856
Avec le chemin de fer et l’horlogerie la structure sociale du quartier est bouleversée avec de plus en plus d’artisans et d’ouvriers
Deux secteurs sont marqués par un fort développement. Il s’agit tout d’abord des transports. Bien que situés au bord de la Route Nationale, les transports routiers ne regroupent pas plus de onze actifs au maximum. Pour l’essentiel, il s’agit d’un ou deux voituriers et de trois ou quatre maréchaux ferrant (à partir de 1851). En fait, c’est l’arrivée du chemin de fer qui va faire décoller le secteur. En effet, si en 1856, année de départ du premier train, une seule personne travaille pour la compagnie Paris Lyon (la future P.L.M.), ils sont déjà soixante et onze en 1861. L’horlogerie, quant à elle, fait, ou plutôt refait son apparition aux Chaprais en 1846. Modestement d’abord puisque nous ne relevons qu’un horloger cette année là, mais ils sont déjà trente trois à travailler dans ce secteur en 1861.(Lire en bas de la page, son importance à Besançon). Il apparaît que ces deux secteurs changent la société des Chaprais en profondeur. Il y a désormais presque 20% de la population qui travaille dans ces secteurs. Autrement dit, plus de 20% des actifs ne doivent rien aux jardiniers. Certes, ces derniers restent majoritaires, mais il devient évident que les structures sociales sont en train d’évoluer.
Les artisans passent de vingt et un travailleurs en 1836 à cent deux en 1861. Les ouvriers progressent également beaucoup, les ouvriers non qualifiés passent de trente six salariés en 1836 à cent quatorze en 1861. Dans la même période les ouvriers qualifiés, eux, passent de dix neuf actifs à quatre vingt quinze.
La brasserie de la Mouillère qui sera rachetée par Gangloff
Un quartier marqué par l’industrie textile et métallurgique
Cinq secteurs se développent beaucoup entre 1861 et 1886. Il s’agit de l’artisanat, du commerce, des ouvriers spécialisés d’une part, et du textile et de la chaussure d’autre part. Le premier des deux doit son embellie essentiellement à trois spécialités. Tout d’abord, le travail des métaux et la mécanique qui passent de huit à cent dix huit travailleurs. On relève notamment le passage de un à cinquante sept entrepreneurs en affaires diverses (généralement les agents du recensement précisent lorsqu’il s’agit d’entrepreneurs en bâtiment et travaux publics). Enfin, de plus en plus de fabricants d’objets divers (cages, perruques, tonneaux, tuiles…) s’installent aux Chaprais. Ils sont quatre en 1861, mais cinquante trois en 1886. Le second secteur qui profite énormément des changements est le textile et la chaussure. La croissance de l’entretien explique en grande partie cette évolution. En effet, nous comptons cinquante cinq lingères en 1886 (contre 6 en 1861), treize repasseuses. Dans la confection, couturières, tailleurs et tricoteuses progressent vite. Ces trois professions passent de onze employés en 1861 à cent soixante douze en 1886. Il s’agit principalement de professions féminines mal payées. Le bâtiment, les travaux publics et l’ameublement progressent également mais dans une moindre proportion.
Les professions du secteur tertiaire ne sont plus absentes du quartier
Un autre changement vient des services de l’administration et de la sécurité d’une part, et des professions libérales et de la santé d’autre part. Ces deux représentants du secteur tertiaire se développent même si leur part relative reste faible, notamment dans le cas des professions libérales et de la santé. Certes, il n’y a que dix neuf représentants dans ce secteur en 1886, mais le quartier loge déjà deux docteurs en médecine, trois pharmaciens, trois avocats etc… Ce sont des professions prestigieuses très urbaines. A l’époque, la plupart des représentants de ces métiers préfèrent habiter au centre ville.
Les transports, notamment grâce à l’arrivée du chemin de fer, mais aussi le développement de métiers spécifiquement routier (charretier, garçon d’écurie…) progressent rapidement jusqu’en 1876 où ils atteignent 15,8% des actifs. Mais cette tendance s’inverse et la profession se stabilise autour de 6% des travailleurs. D’autres secteurs restent stables, en progressant à peu près comme la population active et en s’ajustant aux besoins : il s’agit des professions alimentaires, de la domesticité qui connaît en fait une évolution en dents de scie et des tâcherons. Notons que l’horlogerie et les inactifs suivent le même mouvement. Précisons pour ce dernier domaine qu’il y a davantage de religieux avec l’ouverture de deux couvents (l’un Capucin et l’autre d’une congrégation enseignante).
Le hameau des Chaprais est devenu un quartier ouvrier
Si l’on prend en compte les catégories sociales, on observe une forte augmentation des ouvriers. Nous relevons deux cent soixante dix sept ouvriers en 1866 et mille cent vingt sept en 1886. L’autre fait marquant est l’apparition désormais claire de cadres et de professions intermédiaires. Il faut également noter une très forte progression des employés d’administration et de l’entreprise qui passent de vingt quatre actifs à deux soixante cinq.
L’étude sociale montre une très claire urbanisation de la micro-société des Chaprais. Au départ largement dépendante de l’agriculture, elle s’en éloigne peu à peu pour en faire un secteur marginal en 1886. Ces transformations sont concrétisées par le développement du salariat et de l’artisanat. Deux secteurs économiques spécifiques au hameau ont brisé le quasi-monopole du jardinage : les chemins de fer et l’horlogerie.
Des ouvriers sortant d’usine aux Chaprais
Conclusion : Du point de vue social, nous avons pu observer trois périodes. Tout d’abord, l’année 1794 caractérisée par le poids des jardiniers. Puis une période marquée par le binôme agriculteurs / domestiques, avec une montée d’activités nouvelles (artisanat, chemin de fer, horlogerie…). Enfin, de 1861 à 1886, une époque pendant laquelle la population prend un caractère très nettement urbain. En effet, nous ne relevons plus qu’une faible proportion de jardiniers et surtout un salariat important, mais également parce que la population est alors hétéroclite tant dans son recrutement social, qui va de l’ouvrier à l’avocat en passant par le cadre, que dans les secteurs d’activités qui font vivre les Chapraisiens. Les deux analyses ont donc abouti au même résultat : une prédominance rurale de 1794 aux années 1856/61, puis une urbanisation progressive que la densification de la population des dernières décennies confirme.
Télécharger la conclusion générale du mémoire de Fabrice Petetin : memoirefabricepetetin
NB Les illustrations ne sont pas extraites du mémoire de Fabrice Petetin
Remarque : En 1880, globalement l’horlogerie bisontine comptait 191 fabriques employant près de 5000 ouvriers. Elle fournissait 90 % des montres françaises. La production s’est élevée à plus de 500 000 montres en 1883 avant de s’effondrer avec la crise des années 1890.
Voir l’article précédent : répartition des habitants selon les rues et les secteurs géographiques des Chaprais au XIXe
Le premier article : la physionomie des Chaprais à la fin du XVIIIe et au début du XIXe : un hameau rural
Le deuxième article : la transformation du quartier des Chaprais du hameau rural à un quartier urbain
Le troisième article : origine des habitants des Chaprais au XIXe ? exode rural et immigration
Une fabrique d’horlogerie du quartier de la Viotte